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lien de la compagnie tout entière et lui donneraient insensiblement cette unité d’inspiration et d’action nécessaire à la parfaite exécution des œuvres.

Ajoutons un dernier mot et, pour justifier ces quelques observations, ne nous contentons pas d’en appeler à l’amour de l’art.

Il semble que dans le public on considère souvent l’obligation à laquelle sont soumis les théâtres subventionnés comme une espèce de marchandise dont la concession du privilège, la disposition de la salle, avec cela quelques milliers de francs, représenteraient au budget la valeur vénale. Donnant, donnant : les 60,000 fr. de l’Odéon et les 240,000 fr. de la Comédie-Française seraient ainsi le taux auquel on estimerait un certain nombre de soirées consacrées à l’ancien répertoire, un fonds de garantie du déficit éventuel que la tragédie de Racine ou la comédie de Molière pourrait creuser dans la caisse du théâtre. Quand les rares défenseurs de la direction de M. Duquesnel ont avancé que chaque représentation du répertoire constituait le budget de l’Odéon en perte, on a répondu que M. Duquesnel recevait justement 60,000 fr. pour couvrir cette perte. La défense était mauvaise : la réplique ne nous satisfait pas entièrement. La subvention de l’Odéon et de la Comédie-Française représente ce que j’appellerai le droit de l’état sur le grand répertoire. J’y vois le signe matériel du devoir qui incombe au ministre des beaux-arts de veiller à la conservation des chefs-d’œuvre de l’art dramatique, aussi bien qu’à celle des chefs-d’œuvre du Louvre ou des monumens historiques, « C’est au théâtre que la nation se rassemble, c’est là que l’esprit et le goût de la jeunesse se forment, les étrangers y viennent apprendre notre langue, nulle mauvaise maxime n’y est tolérée, et nul sentiment estimable n’y est débité sans être applaudi : c’est une école toujours subsistante de poésie et de vertu. » Pour l’autorité de la leçon, je regrette que Voltaire l’adressât à Mme de Pompadour. Qu’importe cependant ? S’il n’en est pas ainsi, c’est ainsi qu’il en devrait être. Certaines pièces ont conquis sur la scène de la Comédie-Française un droit de cité que jamais elles n’y auraient dû conquérir. Le répertoire en a souffert, et les mœurs dramatiques elles-mêmes avec le répertoire, et le goût des nobles spectacles. C’est un premier tort ; il ne faut pas permettre qu’il s’aggrave. Toute la force de la Comédie-Française est dans le respect de la tradition. Et le devoir de l’état est de l’y maintenir, comme dans ses écoles, dans tous les degrés de l’enseignement public, il veille à l’exécution, de ses programmes.


F. BRUNETIERE.