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après ses premières victoires ni même après la bataille de Cannes ? Comment s’y prit-il pour continuer la guerre, sans secours de la mère patrie, au milieu d’un pays presque partout hostile ? Que faut-il enfin penser de son, entreprise si glorieuse, mais à la fin avortée ?

On cite avec raison comme un trait d’audace sa marche à travers les Pyrénées, la Gaule et les Alpes ; il l’avait préparée de longue main. Il avait fait recueillir tous les renseignemens qui pouvaient l’éclairer sur la route à suivre, les dispositions des populations, les obstacles naturels à surmonter. Il avait pu savoir que la Gaule lui fournirait des vivres en abondance, qu’il rencontrerait peu de résistance en annonçant son dessein d’aller combattre Rome, que les Alpes, si pénible qu’en fût le passage, n’étaient pas infranchissables, puisque des bandes gauloises les avaient traversées tout armées. Cependant, avec les forces maritimes dont il pouvait disposer, il semble qu’il eût été plus simple et plus sûr de partir d’un point quelconque des côtes espagnoles pour, débarquer, par exemple, à Gênes, sur le territoire ligure, où il aurait rencontré des alliés et d’où il pouvait très aisément, laissant les Alpes à dos, passer dans l’Italie centrale. Il se peut que, comme les Romains de Régulus avaient été déterminés par l’exemple d’Agathoclès, Hannibal ait eu l’esprit hanté par le souvenir des invasions gauloises, de ce preux Gaulois qui avait campé en plein Forum et fait payer cher aux défenseurs du Capitole le rachat de ce qui restait de leur ville ; mais nous pensons surtout que l’idée constante d’Hannibal, — et cela jusqu’à la fin, — fut d’organiser contre Rome une coalition de peuples vaincus ou menacés. Sachant pertinemment qu’il ne devait pas compter sur Carthage, comprenant que toute l’entreprise reposait sur lui seul, il aurait voulu entraîner des nations, des peuples entiers, de manière que cette espèce de croisade antiromaine, irrésistible par le nombre, fût garantie par l’intérêt commun d’innombrables complices. Nous inclinerions donc à penser qu’Hannibal songea sérieusement à commencer cette coalition dans notre Gaule elle-même. Ignorant en très grande partie ce qu’il fit pendant, qu’il traversa le sud de notre vieille patrie, nous ne saurions dire s’il négocia dans ce sens. Il est certain qu’il compta sur les Gaulois cisalpins, qu’il supposait, non sans raison, avides de venger leurs défaites récentes et de se soustraire à la sujétion qui leur était imposée. Il trouva chez eux des soldats, mais on ne voit pas que l’élan ait été très grand. Le concours qu’ils lui apportèrent fut en définitive assez mou. Ce dut être le cas plus encore dans la Gaule proprement dite où nul ne songeait à la possibilité d’une invasion romaine. Hannibal rencontra même des dispositions très hostiles sur la rive gauche du Rhône et dans les Alpes. Serait-ce trop