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Est-ce à dire que tout soit incontestable dans les vœux qui se font jour des deux côtés de la frontière actuelle ? Non, sans doute. Les braves douaniers grecs qui arpentent si impatiemment les passes difficiles de l’Othrys espèrent bien se transporter, d’une première étape jusque sur la Vistritza, à la limite de la Thessalie antique ; encore ne serait-ce là dans leur pensée qu’une première étape. J’ignore quelles faveurs l’avenir leur réserve ; mais, s’ils devaient avoir le champ libre à bref délai, il faudrait souhaiter, dans l’intérêt même de la Grèce, qu’ils fissent halte sur les bords du Salamvrias. On le comprendra de reste après les détails qui précèdent : la possession de l’Olympe n’apporterait au royaume aucune force agricole, elle l’embarrasserait de populations rares, moins facilement gouvernables ; enfin on peut se demander s’il parviendrait rapidement à extirper le brigandage de ce repaire inaccessible, et on sait que de tout temps les ennemis du gouvernement hellénique se montrent sévères pour lui, quand il ne s’acquitte pas assez vite de cette tâche. Par contre, la plaine de Larisse assurerait à l’Hellade, qui étouffe dans ses montagnes, l’extension agricole dont elle a besoin ; les saines populations du Pélion et de l’Ossa l’enrichiraient de solides élémens, le port de Volo soulagerait celui du Pirée ; la Grèce ne pourrait s’en prendre qu’à elle-même, si ce coin de terre ne devenait pas le plus beau fleuron de sa couronne. La nature a tracé comme à dessein la ligne frontière du Salamvrias. Ce fleuve roule en tout temps un volume d’eau considérable ; dans la partie inférieure de son cours, la muraille de l’Olympe s’élève à pic sur la rive gauche ; la partie supérieure dessine une boucle en arrière de Trikkala ; il serait équitable que la frontière l’abandonnât au confluent du Trikkalino, — l’ancien Léthé, — pour suivre cette rivière qui épouse exactement les contours des montagnes jusqu’aux Météores ; la ligne rejoindrait là le Salamvrias, rendant ainsi à la Grèce la vallée fertile de Trikkala, qui est l’annexe naturelle et le prolongement du vieux lac thessalien. Les détails de ce tracé imaginaire peuvent être discutables : le fait principal, la réunion de la Thessalie méridionale à la Grèce, ne saurait plus l’être. Il s’impose au voyageur comme la conséquence logique, légitime, de tout ce qu’il voit ; il sera la suite inévitable de la première grande secousse réservée à l’Orient. Dieu sait quand cette heure sonnera, et rien n’indique qu’elle soit proche ; mais ce beau fruit est mûr pour la liberté, et l’expérience nous apprend qu’en pareil cas puissance humaine ne peut clouer longtemps le fruit mûr à la branche morte ; l’histoire passe, qui le cueille et le donne aux ayans droit[1]

  1. L’assemblée de Berlin ne semble pas avoir recommandé la rectification accessoire du Trikkalino ; mais, en adoptant en principe la ligne du Salamvrias, elle a justifié les conclusions que l’étude des lieux et des populations dictait depuis longtemps à tous les voyageurs. Puisse l’Europe n’avoir pas, comme le Prométhée du vieil Eschyle, « fait habiter dans l’âme des Grecs d’aveugles espérances. »