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Déjà l’ambition, facile à comprendre, qui poussa Carthage à se rendre maîtresse de cette grande île voisine, au sol si riche et aux ports si nombreux, l’avait mise aux prises avec l’élément grec, amené en Sicile par des immigrations successives. Les Grecs furent plus d’une fois repoussés par les armées carthaginoises jusqu’à l’extrémité orientale de l’île ; mais là ils étaient déjà assez forts pour braver les attaques puniques. Syracuse arrêta toujours les troupes de Carthage, et à plusieurs reprises celles qui voulaient en faire le siège furent vaincues par les terribles épidémies nées des marécages voisins. C’est cette lutte à outrance contre les Africains qui valut à Denys l’ancien sa popularité et sa dictature prolongée. Après la chute de Denys le jeune, Timoléon, puis Agathoclès, enfin Hiéron se succédèrent dans le même emploi et s’en acquittèrent le plus souvent avec succès. Agathoclès put même descendre en Afrique, ravager pendant trois ans les environs de Carthage et se rembarquer, sans avoir pu la prendre, il est vrai, mais non sans avoir montré le point le plus vulnérable de la puissance carthaginoise.

Pyrrhus fit aussi, en Sicile comme en Italie, une brillante campagne, mais sans résultat. Il repoussa les Carthaginois jusqu’à Lilybée, sur la côte ouest de l’île, mais il ne put emporter cette place forte ni se maintenir dans le pays, et il essuya un grave échec sur mer lorsqu’il repassa le détroit de Messine. Il aurait dit en quittant la Sicile : « Quel beau champ de bataille je laisse ici aux Romains et aux Carthaginois ! » pourtant il les avait vus unir quelque temps leurs efforts contre lui, mais il avait de la puissance et des ambitions des deux cités une idée assez claire pour prévoir qu’elles ne sauraient rester en paix et que la Sicile serait fatalement leur premier champ de bataille.

En définitive Carthage était parvenue à s’implanter dans cette île. Malgré Syracuse et son petit empire sur la côte orientale, malgré la bande intermédiaire de terrain que les Mamertins, dont nous allons parler, avaient réussi à conquérir de Messine à Camarina, les Carthaginois étaient restés maîtres des deux tiers de l’île et ne renonçaient nullement à l’occuper tout entière. — Mais Rome allait la lui disputer. Ce n’est pas qu’à cette époque Rome rêvât déjà un empire universel ; son ambition ne dépassait pas encore les limites de l’Italie : elle avait voulu devenir la cité-reine de la péninsule et réunir les différens peuples qui l’occupaient en une sorte de symmachie ou de confédération militaire dont elle eût été la directrice. Or ce plan était à peu près réalisé. Il n’y avait plus guère que la Gaule cisalpine qui repoussât tout assujettissement à la ville jadis rançonnée par les compagnons de Brennus. D’ailleurs la très habile politique romaine faisait du joug romain quelque chose d’assez