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flammes jusqu’aux étoiles. La nuit, tout le pays n’était plus qu’une fournaise immense. Il appela cette montagne le char des dieux. Ce doit être un des volcans appartenant à la chaîne des monts Camerones. L’un d’eux est visible de la mer, c’est le seul qui existe sur la côte occidentale de l’Afrique, et cette circonstance prouve que Hannon s’était avancé jusqu’au 5e degré de latitude nord. Un peu plus loin encore, il atteignit un cap qu’il nomma « la Corne du sud, » près duquel se trouvait une île habitée par des sauvages hideux tout couverts de poils. Malgré tous leurs efforts, les marins carthaginois ne purent capturer des hommes, mais ils s’emparèrent de trois femmes qui s’escrimèrent si bien des ongles et des dents qu’ils durent les tuer et les rapporter empaillées à Carthage. Les interprètes leur dirent que ces êtres bizarres étaient des « gorilles, » première apparition d’un nom destiné à acquérir une grande notoriété deux mille cinq cents ans plus tard. Ce fut le point extrême du voyage, le rapport finit brusquement par ces mots significatifs : « Là les provisions nous manquèrent. »

Tout semble indiquer que Hannon eut de nombreux émules parmi les marins carthaginois, et que, si la vieille littérature punique n’avait pas complètement disparu, nous posséderions de très nombreux récits de voyages pleins d’intérêt. Pline, par exemple, nous parle d’une autre expédition, à peu près contemporaine de celle de Hannon, et qui eut pour objet de longer les côtes de l’Europe occidentale. Nous en possédons par grand hasard un fragment ou plutôt une paraphrase en mauvais vers latins. Ce voyage de découvertes, dirigé par un certain Himilcon, dura quatre mois. L’amiral carthaginois, laissant à sa gauche le Grand-Océan sans rivage « sur lequel aucun vaisseau ne se hasarde, où ne souffle aucune brise, mais où d’éternels brouillards planent sur des eaux dépourvues de toute vie, » atteignit les îles Æstrymnides, c’est-à-dire les Sorlingues. Il les trouva riches en mines d’étain et de plomb, habitées par une race intelligente et adroite, qui aimait aussi à trafiquer et qui affrontait les flots en courroux sur des canots de peaux-cousues. À deux jours de là, on arrivait à l’Ile-Sainte, habitée par les Hiberniens et couverte de pâturages d’un vert d’émeraude ; tout près se trouvait enfin la grande île d’Albion.

La Gaule vit aussi ses côtes et ses havres visités par ces infatigables marchands. C’est tout ce qu’on en peut dire, car, sauf plusieurs points de la côte méridionale tels que Port-Vendres, Monaco, Ruskino (Castel-Roussillon), et le grand marché de Corbilo à l’embouchure de la Loire, les traces positives d’établissemens phéniciens ou carthaginois sur nos rivages sont nulles ou très contestables. En Espagne, les noms de Carthagène (Carthago Nova), de Barcelone