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furent d’autant plus surpris de l’ordre et de la discipline qui régnaient parmi nous. J’allai saluer le marquis qui me présenta le capitaine Sebastiano Martini et l’ingénieur Chiarini ; puis nous causâmes : « Je ne m’expliquais pas, dis-je franchement au marquis, qu’il se fût mis en route par cette saison pour les hauts plateaux éthiopiens ; sans doute il ignorait les pluies torrentielles qui durent là-bas à partir du mois de juillet et qui interrompent toute communication. À cette époque, on pouvait bien se rendre du Choa à la côte, ainsi que je faisais moi-même, mais le contraire n’était pas à tenter. Ils allaient trouver l’Aouach sorti de son lit, le pays détrempé. Cette première considération, comme aussi la mauvaise organisation de leur caravane dont ils avaient égaré les deux tiers, l’impossibilité absolue où ils se trouvaient de réparer leurs pertes, tout cela rendait la poursuite du voyage très dangereuse. Je leur conseillai donc de retourner à Zeila avec ma caravane pour s’y refaire tout à loisir ; en attendant, la mauvaise saison passerait, et, mieux organisés, ils pourraient partir au mois d’octobre prochain ; c’était encore le plus sage. » J’avoue que mes conseils ne furent pas très goûtés : ces messieurs gardaient en face de moi une attitude embarrassée ; pourtant, comme une prompte décision était nécessaire, ils promirent de me rendre réponse dès le lendemain. Nous campâmes à quelque distance les uns des autres.

« Samedi 24. De bon matin je reçois la visite de ces messieurs ; ils admirent sous ma tente les boucliers, les lances et les harnais, ils ne croyaient pas que l’industrie des Éthiopiens fût aussi avancée. Je leur montre également les chevaux, qu’ils trouvent superbes. Ils avaient passé la nuit à se concerter ; en fin de compte, il avait été décidé qu’au prix de tous les sacrifices et à l’aide des ressources que je pourrais leur fournir moi-même, une partie de l’expédition continuerait sa marche en avant ; pendant ce temps, un de ses membres se rendrait à Rome pour demander à la Société de nouveaux moyens d’action, puis rejoindrait ses compagnons au Choa, d’où tous ensemble poursuivraient leur voyage vers les lacs équatoriaux. Entrant alors dans la voie des confidences me racontèrent toutes les spoliations dont ils avaient été victimes de la part d’Abou-Bakr ; bien plus, à leur départ, bon gré, mal gré, l’ex-émir leur avait adjoint sept cheiks qui s’étaient amusés à promener leur caravane en zigzag à travers le désert pour finir de les dépouiller

« Mardi 25. C’est aujourd’hui le troisième jour que nous campons à Tull Harré ; grâce à l’eau et à l’herbe fraîche qui se trouvent ici en abondance, les chevaux reprennent leur vigueur. Cependant je commence à ressentir les fâcheux effets de la rencontre des Italiens ; Cabo, chef de leur caravane, est un parent de Mohamet, ils se