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prisonniers. Peu après, Mohamet rentrait triomphant au campement, un horrible trophée pendu à la bride de sa mule, mais la victoire aura été chèrement achetée. Saleh a été frappé d’un coup de lance au flanc, une cinquantaine d’autres blessés sont rapportés dans leurs huttes, et parmi eux le fils de Mohamet Gourra.

« De peur d’un retour offensif de l’ennemi, les gens de Moulon se décident à quitter leur pays et à planter leurs huttes hors de la portée des Assaï-Mara. En attendant, on s’occupe d’enterrer les morts. Les chameaux, mal soignés, commencent à souffrir, trois ou quatre sont morts ; quant aux chevaux il ne serait pas prudent de les mener paître à quelque distance du camp. Ce soir, ils étaient tous parqués selon l’ordinaire, ils boudaient à l’orge, ils avaient presque refusé de boire ; tout à coup, un des plus beaux tombe comme foudroyé. C’est le premier que je perds.

« Lundi 17. Ce matin, dix de mes chameaux manquent à l’appel ; il ne sera pas possible de partir aujourd’hui. Les habitans de Moulon commencent à déménager leurs huttes. Sur le soir, le cri d’alarme se fait encore entendre : on a pris une fois de plus pour des cavaliers un troupeau d’agazènes, si nombreux dans ces contrées. Les Itou Galla descendent quelquefois de leurs montagnes, arrêtent et pillent les caravanes, mais, quand ils savent qu’il s’y trouve des Européens, ils n’ont garde de s’aventurer, de peur des armes à feu qui frappent de loin.

« Mardi 18. Enfin nous pouvons lever le camp ; nous prenons la direction du nord-est, la caravane est précédée et suivie d’une émigration en masse des habitans de Moulon, chaque famille va par groupe, la colonne s’allonge dans le désert sur une étendue de plusieurs lieues. Par suite de la perte de mes chameaux, Mohamet ne pouvant pas ou ne voulant pas les remplacer laisse à Moulon dix balles de mes peaux de bœuf. Nous passons à côté du lac Carava sans nous y arrêter, et nous venons camper en doublant l’étape à Élilisso.

« Mercredi 19. À cause de la longue course d’hier, les chameaux sont fatigués, les chevaux aussi pâtissent cruellement ; un d’eux meurt, c’est le second. Pendant la nuit, un terrible orage nous a littéralement transpercés. On ne se mettra pas en marche aujourd’hui.

« Jeudi 20. J’ai dépensé cinquante-six pièces de toile depuis le passage du fleuve ; elles m’ont servi à payer mes guides assobas qui se séparent ici de moi. Leur chef Wocatou en tête, ils viennent me faire leurs adieux, tous veulent me toucher la main, l’embrasser, ce n’est pas l’habitude de leur nation, mais ils me sont reconnaissans de leur avoir rendu service à Moulon. Nous partons. d’Élilisso de bon matin, car la course est longue jusqu’à Erer ; nous devons