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m’accueillent d’une salve de mousqueterie en signe d’allégresse. Le passage du fleuve m’a coûté 150 pièces de toile données en paiement aux Adels.

« Mercredi 12. Ce matin au petit jour je m’aperçois que le fleuve a grossi de plus de moitié pendant la nuit ; il était temps de le franchir. Dans la journée, trouvant un Adel en train de voler les peaux de bœuf qui couvraient le café, j’essayai de l’en empêcher ; le sauvage furieux levait déjà sa lance pour me frapper, quand une main, je ne sais laquelle, lui retint le bras. Dans l’après-midi, nous levons le camp et, décrivant un demi-cercle, nous arrivons à la nuit à la station de Bilaine, dans la direction du nord-est.

« Vendredi 14. Depuis que nous avons passé l’Aouach, chaque jour nous avons une nouvelle alerte ; on craint une attaque des Itou Galla ; mais je ne suis pas dupe de ces faux bruits habilement semés par les chefs adels de mon escorte ; ils veulent évidemment, à la faveur du désordre, m’enlever mes chevaux, qui leur font envie. Aujourd’hui la tentative a été plus sérieuse que de coutume. Un troupeau d’agazènes se dirigeait vers la caravane en soulevant un nuage de poussière. A tort ou à raison, les Adels qui m’accompagnent prennent les agazènes pour des cavaliers Itou Galla ; ils veulent s’emparer des chevaux, aller à la rencontre de l’ennemi imaginaire ; mais j’ai résolu de défendre ces braves bêtes, fût-ce au péril de ma vie ; je les fais monter par mes hommes, qui déjà faiblissaient, et, tombant sur les sauvages à grands coups de ma courbach en cuir d’hippopotame, je les oblige à reculer.

« C’est à Bilaine que nous avons passé le delta du fleuve. Les deux mesleniés du roi que Wollassema Awegas avait délégués pour commander les chefs adels et surveiller leur conduite m’avaient suivi jusque-là ; leur mission était terminée, je les congédiai. Avec eux s’en allait une partie des chefs adels ; mais trois cents indigènes de la tribu de Moulon (peuple des Assobas) restent avec moi pour guider la caravane jusqu’à Erer.

« Samedi 15. Partis de Bilaine hier dans la matinée, nous sommes venus camper à Demaca. Nous n’y devions pas trouver d’eau pour les chevaux, mais un violent orage survenu avant la nuit nous en a fourni en abondance. Ce matin la caravane tourne au nord-nord-est, du côté de Moulon où j’avais passé deux ans auparavant. Mohamet Gourra est le chef de la tribu ; c’est le même que j’avais envoyé à Fareh porter la nouvelle de la mort de mon domestique ; il n’était pas encore revenu. L’aspect du paysage est ici des plus pittoresques ; point de cultures, mais une vaste plaine couverte de broussailles, où errent en liberté autour des villages nomades des autruches à l’état domestique et de nombreux