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son tour, la confia à M. Arnoux pour la remettre au roi d’Italie, avec lequel il avait eu déjà quelques relations par l’entremise de Mgr Massaja, sujet italien.

En dernier lieu, on arrêta les ordres d’achat faits par le roi, montant à la somme de 700,000 talaris environ, qu’il devait couvrir avec de la marchandise du pays au prix courant des marchés. On fixa aussi le nombre des personnes à engager en Europe pour le compte du roi, avec la spécialité de chacune. En cas de mort du voyageur dans le désert, trois hommes de la caravane étaient désignés pour continuer la route et consigner la marchandise et les présens au consulat de France à Aden.

Tout étant ainsi réglé, le roi se disposait à partir. Le mardi 6 juin, bien avant le jour, un grand feu brûlait au foyer dans la demeure de M. Arnoux ; une vingtaine de serviteurs tenaient des torches à la main. Le roi entra le premier, suivi de ses familiers, et vint s’asseoir auprès du feu ; M. Arnoux prit place à côté de lui, les autres restèrent debout. On échangea les derniers souhaits, les derniers adieux, puis, comme deux amis, le voyageur et le roi s’embrassèrent ; dans la salle, toutes les têtes s’inclinaient en signe de respect ; enfin Minylik, surmontant son émotion, donna le signal du départ et sortit. Quelques jours après, M. Arnoux se rendit à Salla Dengaï pour faire ses adieux à la reine mère ; la bonne clame le pria d’accepter pour sa fille trois dents d’éléphant pesant ensemble une centaine de kilogrammes ; déjà la reine, femme du roi, lui avait fait un cadeau semblable de huit dents d’éléphant en lui souhaitant un heureux voyage. Le 12 juin, il quitta définitivement Litché, après avoir pris congé des missionnaires et de tous les bons amis qu’il laissait au Choa ; une grande foule de peuple l’accompagna quelque temps sur la route ; Azadj Woldé Tsadek, à qui le roi avait donné ses instructions, le suivit même jusqu’à Aramba, où la séparation se fit en pleurant ; mais laissons-le raconter lui-même son retour.

« A Fareh, où se formait la caravane, je perdis encore quelques jours ; il fallut trouver des chargeurs, et, comme toujours en Orient, les discussions prirent beaucoup de temps ; il fallut aussi s’entendre avec les chefs adels, qui avaient promis trois cents guides jusqu’à Erer, au-delà du fleuve ; j’emmenais en outre trente-six domestiques éthiopiens pour soigner les chevaux pendant la route et veiller sur les provisions et les objets précieux. Chargeurs, guides ou domestiques, tout ce monde fut payé d’avance. De leur côté, les deux dignes fils d’Abou-Bakr, Ibrahim et Mohamet, rassemblaient dans une localité voisine le bétail humain qu’ils s’étaient procuré pendant leur séjour pour le joindre à notre colonne dès que nous serions partis.