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conditions de vie. L’agglomération assez nombreuse de ce versant est groupée autour de deux centres, — Portaria et Macrinitza, — de trois à quatre mille âmes chacun. Ici aussi, pas un habitant qui ne se fasse honneur du sang, de la langue et du costume grecs dans toute leur pureté. On ne trouverait même pas l’unique soldat arnaute qui représentait l’islam à Ambélakia. Deux fois par an, le percepteur arrive majestueusement sur sa mule ; on lui remet un millier de livres (23,000 francs) environ pour chacune des deux bourgades, et là se bornent leurs rapports avec le gouvernement. Ce tribut payé, elles s’administrent et s’imposent à leur guise, n’attendant rien que d’elles-mêmes en fait de chemins, de ponts, d’églises et d’écoles. À ce propos, répétons une fois de plus que nos villageois, plus heureux ou plus sages que bien des grands états, font dans leurs budgets la part du lion au chapitre de l’instruction publique ; ainsi et tout naturellement la race grecque arrive presque à réaliser le rêvé de l’égalité intellectuelle pour tous ses enfans, c’est-à-dire à retrouver l’état social des démocraties antiques.

Ici encore on se passe curieusement le voyageur de maison en maison, avec accompagnement obligé de miel, de sucreries, de café. On devine le contentement fait de peu, dans ces maisons planchéiées de bois blanc, propres et toutes simples, entourées de beaux jardins. Elles témoignent d’une richesse plus générale qu’à Ambélakia ; beaucoup de négocians en soie, en grains, en cotons, émigrés de la montagne, qui ont trouvé la fortune sur les mers lointaines, se retirent vers le tard dans ce site tranquille, d’où ils surveillent leur comptoir de Volo. Partout on m’amène les enfans, on me présente à la vieille grand’mère, toute digne sous le costume des matrones grecques ; les jeunes femmes d’un beau type hellénique, sans ces affectations d’européanisme qui gâtent trop souvent la grâce des Levantines, les hommes accueillans et ouverts, avec ces manières faciles et nobles des populations que le travail de la terre élève sans les écraser, — tout ce monde sent le prix joyeux d’une vie honnête. Seulement il ne faut pas attaquer les questions brûlantes de nationalité politique : les fronts se rembrunissent, les plaintes éclatent, et les aspirations unanimes se font jour avec violence. Partout encore, c’est le portrait du roi George qui préside à ces conversations séditieuses. Le Démosthène de Portaria est un vieux médecin, utopiste naïf, qui a étudié à Paris vers 1848 : il développe avec chaleur, comme une nouveauté grande, les théories de Proudhon et les rêves de Cabet ; heureusement il n’aura jamais l’occasion de les appliquer dans ce milieu social primitif et exempt d’anomalies douloureuses. Au reste, le brave homme se rend justice en se nommant lui-même, dans notre langue qu’il manie un peu gauchement,