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achètent avec leur argent des troupeaux de bœufs qu’ils échangeront ensuite contre des marchandises indigènes.

Le sel joue un grand rôle dans le commerce des Gallas, car chez eux il manque complètement. Celui qu’on leur apporte est extrait d’une montagne de sel gemme considérable qui se trouve dans l’Ethiopie du nord sur la route de Massaouah au Tigré : il se débite en petits pains très durs, de 20 centimètres de long sur 4 de large et autant d’épaisseur, un peu amincis des deux bouts, ayant tout à fait la forme et la grosseur d’une pierre à aiguiser les faux ; il sert dans le Choa et dans toute l’Ethiopie de monnaie divisionnaire du talari. La valeur varie suivant les besoins depuis huit jusqu’à douze sels pour un talari ; dans les pays gallas, dans le Gouragué, à Abba-Giffar, il subit les mêmes variations ; seulement, par suite des transports, de l’humidité, et aussi de la cupidité des trafiquans qui les rognent comme autrefois chez nous on rognait les pièces d’or, le volume des pains va toujours diminuant à mesure qu’ils s’éloignent du point de départ.

M. Arnoux expliqua au roi que les thalers allemands et les pains de sel ne sont pas une monnaie nationale, que tous les princes, grands et petits, qui ont un peuple à gouverner, frappent monnaie à leur effigie, que c’est même là leur première préoccupation ; il lui fit voir alors des pièces de 1, de 2 et de 5 francs, de 50 centimes, d’autres de 5 et de 10 centimes ; le roi admira surtout la monnaie divisionnaire. « Une fois la route frayée, poursuivit M. Arnoux, il serait facile avec un petit outillage et un personnel choisi d’établir au Choa un hôtel des monnaies ; on démonétiserait le talari, on frapperait des pièces de toute valeur à l’effigie du roi Minylik, on exploiterait à son compte les mines d’or des Gallas ; le précieux métal ne serait plus porté, comme aujourd’hui, à l’état brut sur les marchés égyptiens de la côte. » Le roi goûta fort ce projet et pria son hôte de s’en occuper dès qu’il serait en Europe ; il désirait aussi beaucoup l’installation d’une papeterie. Certes ce n’est pas le textile qui manquera ; les plantes fibreuses propres à cet usage abondent dans le pays et fourniront un papier excellent.

Cependant la présence de Minylik était devenue nécessaire à Woreillou ; un terrible orage grondait dans le nord et menaçait les frontières. A Litché, à cause de l’éloignement, les nouvelles n’arrivaient que fort tard et toujours un peu confuses ; voici pourtant ce qu’on apprit par la suite. Reprenant les projets de Méhémet-Ali et rêvant lui aussi la fondation d’un immense empire africain, Ismaïl-Pacha venait de lancer sans provocation toutes ses troupes à la conquête de l’Ethiopie. Au nord, trois corps d’armée envahissaient le Tigré par Massaouah ; à l’est, Raouf-Pacha poussait sur Harrar et