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sais ce que la justice aura fait de lui ; mais pour celui-là la leçon était suffisante, et la cellule lui permettait de l’écouter en silence. Dans un atelier ou un préau commun, il n’aurait eu qu’une pensée : cacher son repentir et refouler ses larmes. Au bout de quelques jours, les plus tristes se consolent ; les plus insubordonnés s’assouplissent et ils sont en mesure de profiter des leçons de tout genre qu’ils reçoivent. Le mal est même qu’un certain nombre d’enfans restent trop peu de temps à la Petite-Roquette. La courte durée de leur séjour découragerait tout autre que l’excellent directeur, M. Brandreth, qui s’applique avec un zèle admirable pendant ces quelques semaines à réveiller dans l’âme des enfans le sentiment moral endormi, à rafraîchir les souvenirs de l’école un peu oubliés ou à inculquer les premiers élémens de l’instruction primaire à ceux qui sont complètement illettrés. Il est assisté dans sa tâche par un aumônier et deux frères de la doctrine chrétienne, et tout cet ensemble d’efforts n’est, grâce à Dieu, pas perdu.

Ce n’est donc pas la condition des enfans pendant la durée même de leur séjour à la Petite-Roquette qui doit émouvoir la compassion ; ce sont les circonstances au milieu desquelles ils ont vécu avant leur entrée. L’intimité de la cellule permet de les faire causer plus à l’aise. Il faut éviter, suivant moi du moins, de leur demander en face, comme au reste à tout détenu, le motif de leur condamnation, car il y a quelque chose de brutal à placer ainsi un homme et même un enfant dans l’alternative d’un aveu humiliant ou d’un cynisme déplacé. Mais il n’est pas difficile d’obtenir d’eux indirectement le récit plus ou moins pallié de leurs méfaits, pour lesquels ils ont toujours une atténuation toute prête. S’ils ont été arrêtés pour vagabondage, « c’est parce que j’ai découché. » S’ils ont été arrêtés pour vol, « c’est que j’ai été entraîné par des camarades. » Dans le récit de leurs griefs (car ils en ont malheureusement de fondés), les beaux-pères et belles-mères jouent un grand rôle, et ces mots servent souvent dans leur bouche à désigner une situation domestique beaucoup moins régulière. Comme le directeur demandait à un enfant qui avait déjà fait un séjour dans la maison pourquoi il donnait un nom différent de celui sous lequel il avait déjà été écroué : « C’est, dit l’enfant, que je donne toujours le nom de l’homme qui vit avec maman. » Et comme je m’informais moi-même, auprès d’un bambin de dix ans, détenu par voie de correction paternelle, si c’était son père qui l’avait fait enfermer, il me répondit : « Non, monsieur, mon vrai père est mort, il y a longtemps. » D’autres au contraire, qui sont élevés dans des conditions plus régulières, sont laissés par leurs parens dans un oubli incroyable. « Depuis deux mois que je suis ici, papa n’est pas venu me voir, me disait il y a quelques jours l’un