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et dans ces bandes la femme n’est pas difficile à trouver. Souvent c’est moins une jeune fille qu’une gamine dont le cynisme étonne ceux-là même qui n’en sont pas à leur premier interrogatoire : « Pourquoi avez-vous dérobé cet objet ? » demandait-on à une petite voleuse : « Pour le donner à mon amant, » répondit-elle avec assurance. Elle n’avait pas quinze ans. Dans une précédente étude j’ai cité d’invraisemblables exemples de précocité dans ce monde de la prostitution qui touche de si près au monde du vol. Il est triste de dire que c’est presque toujours dans les incitations de la famille qu’il faut chercher l’origine de ces dépravations précoces. J’en citerai un exemple entre cent. Il y a quelques années, les agens du service des mœurs remarquèrent la persistance incroyable avec laquelle deux jeunes filles qui paraissaient à peine sorties de l’enfance provoquaient les passans à la débauche dans une des galeries du Palais-Royal. L’arrestation de ces deux jeunes filles amena la révélation d’un fait monstrueux. Toutes deux étaient logées chez un homme qui était le père de l’une d’entre elles et qui les forçait à se livrer à la prostitution, en les maltraitant lorsqu’elles ne rapportaient pas une assez forte somme. L’homme fut arrêté, et l’instruction révéla ce détail révoltant qu’il avait lui-même donné à sa fille les premières leçons de débauche.

Oserai-je enfin signaler, dans cette armée de la criminalité parisienne, l’existence de ces êtres sans nom, qui reproduisent en plein XIXe siècle le spectacle des dépravations de l’antiquité et dont quelques-uns trahissent par les sobriquets mêmes dont ils se font gloire les vices honteux auxquels ils s’adonnent, race dangereuse autant qu’immonde, dont on retrouve à chaque instant la main dans quelque crime. Depuis cinq ans, cent quarante-trois individus de cette espèce ont été arrêtés par le service des mœurs ou par celui de la sûreté, lorsqu’ils étaient compromis dans quelque grave affaire. Malgré cette répression et une surveillance croissante, ces êtres ont su se faire leur place au soleil sur le. pavé de Paris. Ils souillent effrontément de leur présence nos promenades les plus fréquentées, ils ont leurs lieux habituels de rendez-vous et ils se réunissent, suivant le plus ou moins d’argent qu’ils ont en poche, dans un café élégant des boulevards, ou dans une vulgaire crémerie d’une rue commerçante, que rien ne distingue des établissemens analogues, mais où l’aspect des habitués et les manières des garçons qui font le service trahissent bien vite à un œil observateur la hideuse société au milieu de laquelle on se trouve mêlé.

Ce n’est pas en effet en étudiant d’arides statistiques que je me suis rendu le mieux compte de l’importance de l’élément juvénile dans le chiffre de la criminalité parisienne ; c’est en observant