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à prendre la fuite s’ils aperçoivent au loin l’ombre d’un sergent de ville. Parfois la bande est plus nombreuse encore et mieux organisée. Elle s’attaque alors, non plus aux hommes, mais aux habitations, et pendant que les uns font le guet au dehors, les autres rincent en une nuit plusieurs de ces modestes habitations de la banlieue où le bourgeois parisien entasse le fruit de ses pénibles économies. Tous les deux ou trois ans la police se trouve ainsi mise sur la trace de quelque vaste association de voleurs avec effraction, comme la bande Chevalier ou celle des cravates vertes, qui comparaît tout entière devant la cour d’assises, et lorsqu’au jour de l’audience, sur l’estrade en bois qu’il a été nécessaire d’élever pour remplacer le banc des accusés devenu insuffisant, on contemple ce ramassis de malfaiteurs, on est étonné de voir tant de visages imberbes, sur lesquels le vice et la débauche ont cependant imprimé déjà leur souillure ineffaçable.

Il ne faudrait pas croire que la propriété soit seule exposée à ces agressions redoutables, et que des mains aussi juvéniles hésitent à se tremper dans le sang. Depuis cinq ans, le service de sûreté n’a pas arrêté, sous prévention d’assassinat, moins de quatorze jeunes gens de moins de vingt ans, dont l’un, âgé de seize ans, était le meurtrier de son frère. Chose horrible et qui est cependant moins étrange qu’elle ne peut le paraître au premier abord, les assassinats commis par de très jeunes gens sont presque toujours accompagnés de hideux détails de férocité. Lorsque Maillot dit le Jaune et ses complices dépouillèrent, après l’avoir assassinée, une vieille femme qui avait été la bienfaitrice de l’un d’eux, ce fut un des plus jeunes de la bande qui, pour s’assurer plus tôt la possession d’une bague, coupa avec ses dents un des doigts de la victime avant qu’elle eût peut-être cessé de respirer, et, lorsqu’il y a quelques mois on eut découvert à Neuilly le cadavre d’une femme littéralement massacrée après une scène de hideuse débauche, la police apprenait bientôt que des trois assassins le plus âgé avait dix-neuf, le second dix-sept, et le troisième quinze ans.

Sous un autre rapport, on ne saurait se figurer le rôle qu’une précoce dépravation des mœurs joue dans ce développement de la criminalité juvénile. Il n’y a pas une de ces bandes dont j’ai parlé où l’on ne trouve deux ou trois jeunes filles qui ont à peine atteint l’âge nubile et qui figurent au banc des accusés comme receleuses ou complices, on pourrait même dire comme auteurs principales, car c’est bien souvent le désir de satisfaire quelque coûteuse fantaisie féminine qui a été le mobile véritable d’une tentative de vol ou même d’assassinat. C’est de la bouche d’un vieux juge qu’est tombé le fameux axiome : « Cherchez la femme, »