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1870 doit marquer pour nous, dans cette étude, la dernière date de la carrière de M. de Mazade. Personne n’a ressenti plus vivement les tristesses patriotiques de cette année, que Victor Hugo a justement nommée l’année terrible, et n’a su faire de ces tristesses un plus noble et plus utile usage. Il en est résulté un très beau livre, consacré à la crise militaire et politique d’où la France est sortie ensanglantée et mutilée sans autre refuge que la liberté. Quantité de récits épisodiques ont été publiés sur ce douloureux sujet, mais la Guerre de France de M. de Mazade reste jusqu’à présent le seul livre qui l’embrasse d’ensemble et le présente dans sa cruelle unité. C’est un ample et large récit, aux proportions imposantes, laissant toujours présens, sous l’œil de l’esprit, les vastes horizons de ce champ de bataille qui occupa un tiers de la France, d’une seule teneur et nous dirions presque d’une même haleine, tant du commencement à la fin le ton en est soutenu, égal et un, où les événemens, groupés avec un ordre habile sans rien d’artificiellement méthodique, se déroulent avec un étroit enchaînement, chacun à son rang logique de succession, se tenant tous ainsi d’une seule pièce, et ne s’isolant jamais pour faire épisode à part et troubler l’harmonie lugubre du sujet. Rarement nous avons eu exemple d’une composition qui ait réussi à créer une impression générale moins morcelée et moins distraite. Le livre entier n’est qu’un même tableau, varié, complexe, tumultueux, mais de la plus rigoureuse ordonnance, et où les faits ont été soumis en quelque sorte à la discipline la plus sévère. L’exécution est au niveau de la composition. Un dessin d’une précision remarquable enserre et présente les choses avec exactitude, un coloris sans fougue, mais sans mensonge, les éclaire avec fidélité. Le livre soulève de nombreuses réflexions que nous nous dispenserons pourtant d’exprimer, persuadé que nous sommes que, dans la situation présente de notre pays, moins on reviendra sur cette fatale époque et mieux cela vaudra pour la concorde sociale et l’apaisement des esprits. Nous en sommes trop près encore pour en parler avec l’impartialité désirable, et remuer son souvenir ne peut produire rien de bienfaisant. Nous voulons tous une France unie pour être forte, et patiente pour être sage ; or, rappeler ce qui divise est un mauvais moyen de semer l’union, et insister sur ce qui provoque l’irritation est un moyen non moins mauvais de semer la patience. La guerre pouvait-elle être évitée ? La révolution qui substitua le gouvernement de la défense nationale au gouvernement impérial fut-elle légitime ? La république eut-elle raison de continuer la lutte après la chute de Napoléon III ? Le défendeur de Metz fut-il coupable de trahison positive ou seulement d’avoir conspiré vaguement, se réservant dans le