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insister pour faire comprendre comment, en choisissant ce rôle d’indépendance et de modération dont il ne s’est jamais départi, M. de Mazade a choisi la position la plus difficile à maintenir et la moins accompagnée d’avantages. La modération en politique reçoit d’ordinaire moins de flatteries que de sarcasmes et rencontre plus de calomniateurs que d’apologistes. Nombre de choses en ce monde sont mal comprises, mais il n’y en a pas qui le soient plus mal que la politique modérée, car chacun des défauts dont on l’accuse pourrait lui être tourné en louange. Les esprits impérieux l’accusent d’être timorée parce qu’elle n’est pas servile et ne prend pas de mots d’ordre, les violens l’accusent de froideur parce qu’elle ne s’enflamme pas d’un zèle de séide pour des ambitions particulières, les dogmatiques et les intransigeans l’accusent d’être hybride parce qu’elle repose sur ce principe irréfutable que dans un monde où tout est contingence, toute politique doit nécessairement aboutir à une transaction. Ces accusations et ces sophismes ne sont point pour effrayer un cœur honnête et ne tiennent pas devant un esprit droit. Oui, notre ami de Mazade a raison, la politique modérée est la vraie politique parce qu’en définitive c’est elle qui est toujours destinée à avoir le dernier mot de toutes les autres. Lorsque les partis extrêmes ont longtemps troublé la société de leurs violences, où donc trouve-t-elle enfin son point de repos sinon dans les partis modérés ? Lorsque les mouvemens anarchiques se précipitent, qui donc les retient sur la pente de l’abîme, leur impose lenteur et finalement inertie, sinon l’élément modéré ? Lorsque les réactions se prononcent, qui donc leur imprime un caractère de calme légalité et les empêche de dégénérer en vengeances ? La politique modérée est la seule en laquelle la société trouve de véritables garanties. Elle n’a pas en effet de principes absolus à imposer comme les partis extrêmes ; lorsqu’elle triomphe, elle ne demande pas à la société de détruire son équilibre et de verser toute entière d’un seul côté, elle ne la menace pas de la refaire à l’image de tel ou tel groupe restreint de la population ; en un mot, tandis que les autres partis considèrent la société comme faite pour eux, elle se considère modestement comme faite pour la société. La politique modérée au fond c’est le vrai libéralisme. Restons-lui donc toujours fidèles à l’exemple de notre cher collaborateur ; elle ne suffit pas toujours à la fortune de ceux qui la défendent, mais elle a cet avantage qu’elle suffit à leur conscience et qu’elle les sauve de ces crimes de l’intelligence si fréquens dans la vie publique, et dont s’effraient à bon droit tous ceux qui comme M. de Mazade ont un vif sentiment de la responsabilité intellectuelle.