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populaire, ne furent au fond que la revanche indirecte, mais foudroyante, de la restauration sur le trône de 1830. A moitié volontairement, à moitié à son insu, Lamartine aurait donc joué à l’égard du gouvernement de juillet un rôle assez analogue à celui que le marquis Wielopolski, dont nous parlions il y a un instant, a joué à l’égard des copartageans germaniques de la Pologne, en poussant les Polonais à se jeter entre les bras de la Russie. M. de Mazade n’est pas tout à fait aussi explicite que nous le sommes, mais force nous est de condenser la pensée répandue dans toute son étude pour la faire apparaître. Le cœur humain, surtout chez les hommes de génie, a d’étranges mystères, et, sans oser affirmer absolument, nous sommes fort porté à croire que le secret de la destinée de Lamartine fut en grande partie dans le sentiment que nous venons d’indiquer.

La mort d’Eugène Forcade survenue en 1868 remit M. de Mazade en possession de notre chronique, qu’il n’a plus quittée depuis. Les temps étaient alors bien différens de ce qu’ils avaient été lorsqu’il l’avait prise pour la première fois, et son talent libre désormais de toute contrainte put déployer une toute autre envergure que les circonstances ne lui avaient permis de le faire naguère. Nos lecteurs savent quelle constante élévation el quelle sagesse perspicace il porte dans l’exécution de cette tâche écrasante dont un écrivain peut seul bien comprendre les difficultés et le poids. Ce qui pour nous distingue avant tout M. de Mazade dans cette chronique, c’est qu’il y réunit deux qualités que l’on rencontre rarement ensemble, l’indépendance et la modération. Il est modéré précisément parce qu’il est indépendant, ce qui devrait toujours être en bonne logique, car où est le bénéfice de l’indépendance si elle ne nous préserve pas des exagérations passionnées, des opinions à outrance et des aveuglemens volontaires ? L’indépendant est sans violence parce qu’il soumet tout à la critique, sans obstination parcs qu’il est exempt de parti pris, sans dépits contre les choses ni aversions contre les hommes parce qu’il prend pour règle de sa conduite les lois du monde plutôt que les désirs de son cœur. Il accepte tous les faits nécessaires, mais il n’accepte que ceux-là, et fait ses réserves sur les formes particulières que les passions voudraient leur donner ; il adhère aux principes dont la raison lui a démontré la justice ou l’utilité, mais il se garde autant que possible d’identifier ces principes avec les hommes qui prétendent à l’ambition de les appliquer. En traçant ce croquis de l’indépendant, qu’ai-je fait autre chose que fixer dans ses traits principaux l’esprit que notre cher collaborateur apporte chaque quinzaine dans l’examen des choses de la politique ? Ai-je besoin de beaucoup