Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quelques-unes de ces fermes nourrissent jusqu’à six cents têtes de bétail. On y cultive le blé, le coton, le tabac, la vigne. Les maîtres chrétiens de ces grandes exploitations font beaucoup pour le développement agricole du pays ; on commence à y introduire les machines à vapeur. Tout cela est un peu hâtif, et si ce n’est pas la charrue avant les bœufs, c’est du moins la machine avant la charrue. — D’après mon interlocuteur, le cultivateur grec est assez laborieux et se fait vite aux améliorations dont il saisit l’utilité ; mais sur certains points ses préjugés sont extrêmement difficiles à déraciner ; il n’irrigue ni ne fume ; il fait volontiers la chasse aux arbres, professant la même haine que le paysan espagnol contre la verdure, « qui donne la fièvre. » Tous ces cultivateurs sont métayers : ils gardent les deux tiers de la récolte et remettent un tiers au propriétaire, après la dîme prélevée (13 pour 100). La dîme ! là est le grand fléau, non pas tant dans l’institution elle-même que dans la façon dont on l’applique. En ce moment, fin d’août, les blés sont moissonnés et engerbés ; il ne reste qu’à les battre, semble-t-il. Ce n’est pas si simple. Nul ne peut battre une gerbe avant que la dîme ne soit prélevée ; mais, pour qu’elle soit prélevée, il faut qu’elle soit adjugée, — pour qu’elle soit adjugée, que l’administration ait fait son choix entre les offres des concurrens. Or, à cette heure, la ferme des dîmes n’est pas encore adjugée pour l’année courante ! Les gerbes attendront l’adjudication, et tandis qu’elles l’attendent, les orages en détruiront peut-être la meilleure part. Ce détail dit tout. Si l’on ajoute à cette misère chronique les misères accidentelles, les corvées qui enlèvent au cultivateur une partie de son temps, on comprendra qu’il y ait des années où, comme on me l’affirme, il ne gagne même pas sa semence. En outre les grains de la Thessalie, qui semblent avoir dans le port de Volo le plus proche et le meilleur des débouchés, n’y arrivent que durant quelques mois de l’année, grâce au détestable état des communications. Pendant la mauvaise saison et à chaque débordement du Salamvrias, c’est à dos de mulet qu’il faut transporter les récoltes. Pourtant rien ne serait plus facile et moins coûteux que de poser sur cette plaine unie, de Trikkala à Volo, les rails d’un chemin de fer agricole comme ceux de la Belgique, — à peine aurait-on quelques monticules à déblayer aux portes de Volo. On assure que le grand propriétaire arménien dont j’ai parlé se propose de réaliser cette amélioration à ses frais : ce serait un immense bienfait pour le pays.

Je prends congé de l’intendant de Zarkos, qui vit ici en ermite, enfermé avec ses livres, et se console en plantant des eucalyptus. Il me dit adieu avec mélancolie, en ajoutant : « Figurez-vous quelle transition, monsieur, pour un homme qui vient d’Amérique en ce pays ! »