des religions. Le fanatisme se fit jour et se confondit avec le sentiment de l’indépendance jusqu’à entière identité, et qui me sait que de toutes les puissances morales la religion est celle qui favorise le plus fortement l’exaltation de l’âme ? Ce que cette existence de haine invétérée et de luttes quotidiennes communiqua de sève nourricière à cet individualisme, ce qu’elle développa chez le peuple espagnol de bonnes et de mauvaises passions, et à quel point de vigueur elle les porta, cela se vit au sortir du moyen âge et au lendemain même de la délivrance nationale, lorsque les circonstances historiques les plus inattendues et les plus exceptionnelles permirent à cette nation de manifester sa nature telle que l’avait formée ce long état de violence. Une formidable variété de l’espèce humaine apparut alors, un monstrueux composé d’honneur, de cruauté, d’orgueil et de loyauté, et c’est à ce peuple indompté que le hasard voulut faire don d’un monde inconnu où son énergie put aller sans contrainte jusqu’au bout d’elle-même, et où l’appât de faciles richesses pût surexciter jusqu’au plus haut degré son ambition et ses convoitises. La fièvre de l’or née de la découverte de l’Amérique aurait seule suffi pour perpétuer pendant de longues générations l’ignorance de ce sentiment du devoir collectif dont parlait notre savant, et voilà cependant qu’à ce fait énorme un autre plus énorme encore vint s’ajouter. Une seule chose aurait pu réprimer cet individualisme effréné, la discipline qu’impose l’idée de patrie telle que l’ont comprise la plupart des peuples de l’Europe moderne, et nul doute que, s’il eût été laissé à lui-même, le peuple espagnol n’eût acquis davantage de cette contrainte volontaire qui nous fait réprimer sans trop d’effort les intempérances de notre moi au profit de l’ordre général ; mais, à ce moment il se trouva gouverné par un prince magnifique, héritier de presque toutes les maisons souveraines de l’Europe, cosmopolite par ses possessions, qui, en agrandissant pour l’Espagne le sens du mot de patrie, le dénatura et le faussa. Appelé à la réalisation d*entreprises d’ordre universel, la monarchie européenne et le rétablissement de l’unité religieuse par l’extirpation de l’hérésie, le peuple espagnol ne connut plus d’autre devoir envers la patrie que celui de détruire tout ce qui ne lui ressemblait pas, et son individualisme, loin de se discipliner par ces longues guerres entreprises au nom de la foi et d’une conception politique grandiose, en reçut une exaltation qui ne le rendit que plus redoutable. Donoso Cortès, nous apprend M. de Mazade, disait que la domination de la maison d’Autriche n’était qu’une parenthèse dans l’histoire d’Espagne ; il faut avouer, en ce cas, que voilà une parenthèse qui tient de la place, et qu’à côté de la phrase incidente enfermée entre ses crochets les
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