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était inabordable ; il n’y a jamais eu au contraire de publications dont l’abord fût plus facile, pour peu qu’on eût quelque chose de sérieux ou d’utile à proposer. La Revue, disait-on encore, était fermée aux jeunes gens ; or cette assertion était d’une insigne fausseté, nous n’en voulons pour preuve que l’exemple même de M. de Mazade. Voici un jeune homme qui se présente, un jeune homme sans titres, sans précédens littéraires, sans recommandations influentes, un inconnu en un mot, mais le coup d’œil sûr du maître sait distinguer en un instant le sérieux et les ressources d’esprit de cet inconnu, et d’emblée, sans lui laisser faire antichambre, sans le soumettre à un stage quelconque, il lui ouvre les portes de son recueil. Et avec combien d’autres n’avons-nous pas vu le même fait se renouveler ! Les talens inconnus et les débutans pouvaient d’autant mieux l’aborder que je n’ai pas connu d’homme qui offrît à un pareil degré la garantie de l’impartialité. Rien au monde, absolument rien, ne pouvait influencer la liberté de son jugement. Sans préjugés sociaux d’aucune sorte, l’opulence ou la pauvreté, les blasons ou l’obscurité des écrivains lui importaient peu ; il n’était à cet égard sensible qu’au talent, mais il l’était à un point de délicatesse et de finesse qui étonnait chez une aussi vigoureuse nature. Il passait pour tyrannique, et il l’était en effet terriblement pour les virgules mal placées et les coquilles d’imprimerie ; cependant ce tyran était pour les jeunes écrivains un rare protecteur, car en leur ouvrant les pages de la Revue il ne leur ouvrait pas seulement la carrière, il la leur donnait toute faite dès le premier jour. La preuve en est encore dans notre ami de Mazade, dont la position était si bien établie dès son entrée à la Revue qu’il n’y a jamais eu pour lui nécessité à changer de place, et que toute sa vie littéraire s’est écoulée dans le lieu même qui avait vu ses débuts.

Ces débuts justifièrent pleinement la sûreté de jugement du directeur de cette Revue. Dès le premier jour il se présenta à nos lecteurs avec toutes les qualités d’un vétéran de la littérature, maître d’une forme à la fois sans inégalités et sans faiblesses, expert dans cet art difficile de grouper ses idées en succession logique qui s’appelle l’art de la composition. Il était de ceux qui entrent en lice si bien munis et préparés qu’ils atteignent le but du premier coup et n’ont pour ainsi dire plus à progresser. Il ne révéla cependant pas tout d’abord cette variété d’aptitudes qu’il a montrée par la suite, et pendant d’assez nombreuses années il limita son domaine, se partageant à peu près également entre la critique littéraire courante des œuvres françaises et l’Espagne, dont il connaissait à fond la littérature et l’histoire, et dont il comprenait le génie non-seulement par l’étude, mais par cette sorte d’affinité