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quelque surprise qu’il débuta en 1843 par un volume d’Odes qui eut l’honneur de deux éditions, et dont nous avons nous-même ignoré l’existence jusqu’au jour où nous avons été appelé à parler de son auteur. Ce volume, recueil de vers bien faits sur des sujets nobles, n’a certainement pas de chef-d’œuvre inconnu à nous révéler, bien que quelques-unes de ces odes soient, comme la première, presque belles par la justesse du mouvement lyrique, ou tout à fait touchantes, comme la pièce intitulée le Vieillard, écho ému et respectueux de la sagesse attristée de l’un ou l’autre de ces deux aïeuls qui avaient traversé la tourmente révolutionnaire ; il mérite pourtant d’être mieux que mentionné en passant, car à quiconque a eu la bonne fortune de connaître notre collaborateur, il le montrera tout formé déjà et avec quelques-uns de ses caractères les plus persistans. Qu’elle est par exemple un vrai et fidèle résumé, par anticipation, de toute la vie littéraire de l’auteur, cette épigraphe au vaillant laconisme qu’il a placée en tête de son recueil, Perseverando ! Persévérer en effet, personne ne l’a mieux su que M. de Mazade, personne n’a jamais moins connu les impatiences et les lassitudes inhérentes à toute carrière littéraire, n’a mieux porté le joug du travail avec une dignité plus calme et trahissant moins la fatigue, ni moins récriminé contre la longueur de la route et la courte durée des relais. Et cette brève préface par laquelle s’ouvrait le volume et où le jeune débutant exposait ses opinions sur la vraie nature de la poésie et la vraie mission du poète, qu’elle donne bien par avance la clé de ses jugemens critiques ! Selon lui, la poésie moderne faisait fausse route en s’engageant dans une voie personnelle et intime où elle n’avait à espérer le succès que par le scandale de misères morales cyniquement mises à nu, racontées avec une indiscrétion frivole ou glorifiées avec une complaisance coupable. La vraie mission de la poésie était au contraire « d’entretenir le culte des choses grandes, des choses belles, qui font souvenir l’homme de l’image à laquelle il a été créé, » en sorte que les sujets du poète devaient être extérieurs à lui quant à la matière, et libres d’égotisme quant à l’émotion. Pour répondre à cette théorie, le jeune poète avait fait choix de l’ode, le plus impersonnel des genres lyriques, et lui avait imposé la tâche de célébrer, avec une impartialité qui ne tînt compte ni de ses préférences personnelles, ni des préjugés des partis, les dramatiques infortunes et les augustes spectacles de notre moderne histoire, la fédération, Marie-Antoinette, les Girondins, Charlotte Corday, André Chénier, le roi de Rome, les funérailles de l’empereur.

Il y en aurait long à dire sur cette théorie, moralement irréprochable et vraie dans une large mesure, mais qui, selon nous, est