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collaborateur, et c’est pourquoi on ne l’a jamais vu à aucune époque l’homme d’une coterie. Toujours il a su tenir sa pensée exempte de ces exagérations que les partis réclament de nous, triomphans sous la forme d’adhésion sans réserve à leurs excès de pouvoir, vaincus sous la forme d’apologies sans réserve de leurs erreurs et de leurs fautes. Écrivain politique il n’a jamais reçu de mot d’ordre, critique littéraire il n’a jamais éteint son opinion pour ménager une influence chatouilleuse, sûr qu’il était de ne blesser que ceux qui se blesseraient de la vérité. Peut-être aussi est-il vrai d’ajouter que cette indépendance a été bien servie par les instincts qu’il tenait de son origine méridionale, c’est-à-dire une vertueuse indolence qui le laissait sans empressement pour courir après les choses peu dignes d’être poursuivies, et une spontanéité de franchise qui lui interdisait d’abandonner son opinion en face des circonstances ou de la taire en face des personnes. Les méridionaux, en effet, nous leur rendrons cette justice qu’on ne leur reconnaît pas assez, sont par leurs qualités et par leurs défauts à la fois plus naturellement portés peut-être à l’indépendance que les hommes du nord, car, si la violence de leurs passions en a fait de tout temps les séides les plus fanatiques et les plus aveuglément dévoués, leur mélange de lenteur et d’impatience en fait d’un autre côté les caudataires les plus maladroits. Nous ne croyons pas que notre ami Charles de Mazade soit jamais pour démentir la vérité de cette observation.

La question d’origines est toujours d’une importance considérable pour tout homme distingué, et nous croyons bien que pour Charles de Mazade cette importance, sans être capitale, a été très réelle. Nous serions en effet assez enclin à attribuer à ces origines la forme très particulière de modération qui est propre à son esprit. Quoiqu’il ait perdu ses ascendans de bonne heure, il a recueilli des souvenirs, des traditions lui ont été transmises. L’esprit qui régnait dans le milieu où il est né, nous pouvons sans peine le deviner, était cet esprit à la fois conservateur et libéral qui a toujours dominé dans la magistrature et qui tient à ses fonctions. Quiconque a pris plaisir à observer la diversité des formes que revêtent les mêmes opinions, selon les différentes conditions humaines, aura pu remarquer que les hommes appartenant ou ayant touché à la magistrature sont beaucoup plus sensibles aux nécessités sociales qu’aux intérêts politiques des partis. Plus que les hommes des autres conditions, ils ont le sentiment que le cours des sociétés ne doit jamais être interrompu, et que cette permanence sociale doit être maintenue même contre les entraînemens les plus légitimes ou les espérances les plus voisines de la certitude d’une heureuse réalisation. Un militaire ne redoute pas toujours la suspension de