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ma mère. J’avais commencé mon droit à Toulouse, très jeune, vers 1840. C’est après cette date que je suis venu à Paris, où je me suis trouvé seul chargé de ma petite destinée, cherchant peu les protections. J’avais écrit vers 1843 ou 44 quelques articles à la Presse. Sainte-Beuve, que j’avais rencontré par hasard, me tira de là et m’appela à la Revue. Il n’y eut pas dix paroles échangées entre Buloz et moi pour mon entrée, et depuis vous savez l’histoire ; nous avons presque toujours vécu côte à côte… »


L’autobiographie est courte, mais pour quiconque a connu familièrement Charles de Mazade, elle révèle d’emblée la nature de son caractère et le secret de sa destinée littéraire. Charles de Mazade, on le voit, a des origines, et nous en savons plus d’un qui a fait hardiment sa poussée en ce monde sans pouvoir se recommander d’aussi honorables souvenirs. Ces souvenirs, cependant, il n’a jamais essayé à aucun moment de sa vie de les utiliser. Charles de Mazade est le simple fils de ses œuvres, il s’est fait lui-même ce qu’il est par la seule force de son mérite et la seule persévérance de son travail. Comment donc ! il a eu un grand-père ayant siégé dans la convention, un autre ayant siégé dans la première assemblée législative, et il ne lui est pas venu à la pensée de se faire un titre de ce qui a été pour tant d’autres l’unique skibboleth qui à l’origine leur a ouvert les portes de la fortune et du pouvoir ! Comment ! ses parens les plus proches ont appartenu à cette magistrature française où l’esprit de corps était naguère encore si puissant, et il n’a pas eu la moindre velléité de rechercher les protections que cette circonstance appelait naturellement. Comment ! le tout-puissant président du sénat sous Napoléon III était l’obligé de son père, et nous n’avons jamais appris qu’il eût réclamé auprès de cet influent débiteur le prix des services passés ! On trouverait difficilement, même parmi les plus probes, beaucoup d’hommes ayant le courage de se refuser ainsi le bénéfice de leurs antécédens sociaux. Nous le connaissons assez pour pouvoir nommer le mobile qui le guidait en agissant ainsi : c’était l’ambition si digne d’un véritable écrivain de conserver intacte l’indépendance de son caractère et la liberté de ses jugemens. Protection appelle naturellement dépendance, patronage accepté implique obéissance subie, qui dit parti dit discipline, et la discipline ne va pas sans un sacrifice volontaire des mouvemens les plus personnels de notre âme, et il suffit enfin de prononcer le mot de coterie pour évoquer l’idée de l’asservissement le plus complet dans les chaînes les plus étroites, ou de l’idolâtrie la moins digne devant les égoïsmes les moins scrupuleux. Tout cela, personne peut-être de notre temps ne l’a mieux compris que notre cher