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ESQUISSES LITTERAIRES

M. CHARLES DE MAZADE

C’est pour ainsi dire un axiome parmi les honnêtes gens qu’aux approches de la vieillesse il faut s’inquiéter de régler ses comptes avec le monde, et les moralistes ont fait admettre depuis longtemps que le soir de la vie doit être employé à mettre en ordre les affaires de sa conscience. Il me semble que l’on devrait faire pour la vie de l’intelligence quelque chose de ce que l’on fait pour la vie des intérêts et la vie de l’âme. Là aussi nous avons à chercher l’emploi que nous avons donné à nos journées, à contrôler l’usage que nous avons fait de nos facultés, à établir la balance des services que nous avons rendus et des services qui nous ont été rendus ; là aussi nous avons nos créanciers sous la forme des amis qui nous ont accompagné de leurs sympathies, des patrons qui nous ont couvert de leur influence ou assisté de leurs conseils, des esprits qui ont eu part à nos destinées ou contribué à la direction de nos pensées ; nous avons aussi nos débiteurs moins faciles à connaître et à atteindre, moins utiles aussi à rechercher et à qui nous devons laisser le soin de faire les mêmes réflexions que nous faisons en ce moment. Lorsque nous commençons à descendre la pente des années tristes, nous ne tardons pas à nous apercevoir que nous n’avons plus du temps pour toutes choses. Les loisirs que nous fait alors une solitude toujours croissante, la maladie de plus en plus pressante les abrège et les réduit à quelques bonnes heures, et à quoi mieux consacrer ces bonnes heures qu’à ces devoirs de reconnaissance intellectuelle ? Lorsque tout va bientôt nous quitter, ce n’est