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accent de la vérité. A la profonde impression qu’elle produit, on se sent devant un chef-d’œuvre. Holbein ne fut pas heureux en ménage ; par surcroît sa femme était laide et plus âgée que lui. Il est donc permis de conjecturer que, s’il quitta Bâle pour aller Londres, en 1526, l’idée de quitter cette Xantippe fut pour quelque chose dans son voyage. Accueilli à Londres par Thomas Morus, auquel Érasme l’avait recommandé, Holbein y peignit nombre de portraits. Il revint deux années plus tard à Bâle ou l’attendaient de nouveaux travaux : le beau Saint Michel, les volets de l’orgue de la cathédrale, la Danse des paysans, le fougueux Combat des lansquenets. Holbein peignit aussi quelques portraits, entre autres le portrait de sa femme, qui est peut-être son chef-d’œuvre. — Le peintre oubliait les rancunes du mari. — C’est de cette époque qu’on peut dater dans la manière d’Holbein le changement que révèle l’étude de ses œuvres. Sans perdre rien de sa fermeté, son pinceau s’assouplit ; il enveloppe la forme par un modelé précis au lieu de la circonscrire par un contour trop sec. De retour à Londres, en 1532, il devint le peintre officiel de Henri VIII. Le roi lui confia de délicates missions pour lesquelles il fallait que le diplomate fût un peintre. On sait que Henri VIII n’avait pas un goût bien vif pour la monogamie. Holbein était envoyé vers les femmes que voulait épouser ce Barbe-Bleue couronné avec mission de faire leurs portraits. Le roi jugeait ainsi de la beauté de ses futures victimes. Henri VIII avait une vraie affection pour son peintre, si l’on en croit cette anecdote plus ou moins apocryphe. Un jour, à la suite d’une discussion, Holbein avait mis fort incivilement à la porte de son atelier, en le jetant du haut en bas de l’escalier, un grand seigneur anglais. Celui-ci demanda vengeance au roi en faisant sonner un peu haut son titre de baron. « Sachez, lui-dit Henri VIII, qu’avec sept paysans je puis faire sept barons, tandis qu’avec sept barons je ne saurais faire un seul Holbein. » Holbein mourut à Londres en 1543, après avoir vu décapiter plus d’un de ses modèles.

Hazlitt a dit : « Les têtes de Holbein sont aux autres portraits ce que les archives sont à l’histoire. » Holbein, en effet, est le peintre de la vérité vraie ; Il a la touche incisive, l’intimité de l’accent, l’expression saisissante, l’impression profonde et durable. Quand on a vu une tête d’Holbein, on ne l’oublie pas. Devant le modèle, il était, selon le mot heureux de M. Paul Mantz, « d’une intraitable sincérité. » Pour Holbein, la physionomie humaine n’a pas de secrets. Il surprend le moral de celui qu’il peint, et sur sa face, il marque ses instincts, ses pensées, ses passions. Il ne veut peindre que l’individu, mais à son insu, par la précision du rendu et la profondeur de l’expression, il généralise et s’élève jusqu’au type. Grands seigneurs, bourgeois, marchands, jeunes femmes, tous ses portraits sont l’image vivante de la première moitié du XVIe siècle. M. Paul Mantz se plaint que, suivant l’habitude française de simplifier ce qui est compliqué, on ne considère Holbein que comme