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fort compromis, et le vote d’hostilité qui n’a pas tardé à l’atteindre, qui a rallié des fractions diverses de la chambre, ce vote a été surtout l’expression d’un malaise assez universel, du sentiment impatient d’une situation difficile.

Ce n’est pas que le chef du ministère, M. Cairoli, excitât personnellement des antipathies ; il était au contraire défendu par une séduisante loyauté de caractère, par les marques récentes de son dévoûment au roi. La vérité est que le cabinet Cairoli est tombé sous le poids de toute sorte de complications intimes ; il a été condamné pour ce qu’il a fait et pour ce qu’il n’a pas fait, pour ses indécisions et pour ses tendances involontaires, pour n’avoir pas su empêcher cet été des manifestations de nature à compromettre l’Italie au dehors, pour n’avoir pas réprimé assez tôt ou assez résolument des agitations révolutionnaires, pour avoir laissé se développer une certaine incohérence au milieu de laquelle a éclaté comme un coup de foudre cet attentat de Naples. Le président du conseil a eu beau payer chevaleresquement de sa personne, c’est le système qui a été compromis : des rivaux du même camp en ont profité contre lui, et des amis comme Garibaldi ont peut-être achevé de le perdre par la candeur de leur zèle à recommander le ministère Cairoli et à prophétiser un prochain avenir républicain. Le cabinet, battu en brèche, assez embarrassé, n’a pas pu résister à l’épreuve d’une longue et sérieuse discussion où l’on n’a pas même dit tout ce qu’on pensait. Vaincu par une coalition, mis en minorité par un vote, il ne pouvait désormais rester régulièrement aux affaires que s’il obtenait du roi la dissolution de la chambre ; mais une dissolution dans les circonstances présentes, c’était une grave aventure, et tout bien pesé, après avoir consulté les présidens des deux chambres, les chefs de partis, le roi Humbert a jugé plus prudent de faire une tentative nouvelle avec M. Depretis, qui a été déjà renversé l’an dernier dans le même parlement.

Le ministère qui s’est immédiatement formé n’est pas et ne pouvait pas être l’expression combinée de la coalition qui est apparue il y a quelques jours dans un vote de circonstance ; il n’est pas fait non plus pour désintéresser les fractions de la gauche qui ont contribué à la chute de M. Cairoli, la fraction Crispi, la fraction Nicotera. Il représente une certaine moyenne de la gauche modérée, et il se compose d’hommes assez peu marquans. Sa force principale est dans son chef, M. Depretis, vieux Piémontais sensé, parlementaire expérimenté, qui a été assez généralement désigné pour prendre le pouvoir dans ces circonstances difficiles.

Voilà donc la crise dénouée pour le moment, et le nouveau ministère a du moins la chance de vivre quelques jours. Il a pu obtenir sans trop de difficulté le vote de l’exercice provisoire du budget avant les vacances du renouvellement d’année qui vont durer jusque vers la