Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/215

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de la main gauche, comme elle dit : « Je suis bien en peine de mon cher abbé de Saint-Albin. Depuis huit jours, il a une fièvre atroce, avec de grandes douleurs dans la tête et les reins. Je suis très inquiète de lui, et cela me peinerait au fond de l’âme s’il devait mourir, car, soit dit entre nous, il est, après le duc de Chartres, de tous les enfans de mon fils, tant légitimes que de la main gauche, celui que j’aime davantage. » Elle connaissait et voyait aussi la plupart des autres, dont elle nous donne la nomenclature complète : « Le chevalier d’Orléans, depuis peu grand-prieur de France dans l’ordre de Malte. Il est le fils d’une de mes anciennes filles d’honneur, elle s’appelait Séry et est maintenant Mme d’Argenton. La mère de l’abbé était une danseuse de l’Opéra du nom de Florence. Le chevalier a été légitimé, mais le pauvre abbé n’est pas reconnu. Mon fils a encore une fille de la main gauche qui n’est pas reconnue ; elle a épousé un marquis de Ségur. C’est la fille d’une des meilleures comédiennes de la troupe du roi ; elle s’appelle la Desmare. Il y en a encore deux ou trois, mais je ne les ai jamais vus. Leur mère est une dame de qualité… Je ne crois pas que mon fils puisse être sûr que ces enfans soient de lui, car c’est une fille, une évaporée qui boit jour et nuit comme un corroyeur ; mon fils n’est pas du tout jaloux. » Suivent à l’appui des détails tout à fait intraduisibles, et la lettre finit par le souhait que « ces traits d’histoire » aient amusé un peu sa chère Louise.

Tout cela, Madame le pardonne à son fils ; elle trouve tout naturel qu’il cherche à se distraire de ses travaux et de ses ennuis. « Ce serait un mauvais passe-temps, pour les courts instans de répit qu’il a, que la compagnie de sa vieille mère et de ses dames, aussi âgées qu’elle. Il préfère la société de sa fille aînée et de ses dames ; d’autres se joignent à elles qu’il ne déteste pas non plus ; elles l’amusent et soupent avec lui trois ou quatre fois par semaine. Je ne lui en veux pas du tout, cela est très naturel. » Ce n’est que quand Mme de Berry tombe malade et meurt que sa grand’mère semble ajouter foi, elle aussi, aux rumeurs qui couvraient le père et la fille d’un même opprobre. Elle dit de la princesse, avant sa mort, qu’elle est ce que son père aime le plus au monde. En parlant des soupers, « tous deux, dit-elle, y perdent honneur et réputation, » et après le décès, on n’a dû lui laisser que fort peu d’illusions, car en date du 13 septembre 1719 elle écrit à sa sœur : « Ce qu’il y a de mieux à faire, c’est de ne plus parler du tout de la pauvre duchesse de Berry. Plût à Dieu que j’aie moins de motifs de me consoler de sa mort ! C’est pire que tout ce que vous sauriez imaginer. »

Madame porta le deuil de sa petite-fille pendant trois mois. Quoiqu’elle se plaigne amèrement de ce que la durée du deuil à la cour