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fourberie dont on s’est servi pour s’emparer de l’église du Saint-Esprit est un vrai tour de prêtres ; les fourberies, je les hais à la mort ; elles ne siéent bien qu’à Arlequin, dans la comédie italienne… L’électeur pourrait dire des prêtres d’Heidelberg ce que le père de la Rue[1] disait du confesseur du feu roi, le père Le Tellier : « Il nous mène si vite que j’ai peur qu’il ne nous verse. » Cela pourrait bien aller ainsi dans le Palatinat. »

Enfin l’Angleterre et la Prusse interviennent. « Les prêtres de cette façon n’oseront plus faire des leurs, ce dont je me réjouis du fond du cœur ; car je souhaite toute sorte de bien et de bonheur à nos bons et honnêtes compatriotes ; aux méchans prêtres qui les persécutent, je leur souhaite la potence qu’ils méritent bien pour leur fausseté et leurs tromperies… Ils sont méchans et insolens, mais, dès qu’on leur montre les dents, ils font patte de velours. »

Les deux monarques protestans et l’électeur nomment une commission chargée de régler le différend. Mais les commissaires ont le tort énorme aux yeux de Madame de procéder lentement ; ils chôment les dimanches et fêtes, et Madame est d’avis qu’ils pourraient siéger ces jours-là tout aussi bien que les jours ouvrables, car traiter de choses se rapportant à la religion, et rendre la justice, ce n’est pas se livrer à un travail manuel. Et naturellement elle se reporte en pensée à une époque où en France aussi on persécutait les réformés : « Les gens, dit-elle, qui, comme l’électeur, ont eu une jeunesse déréglée, se laissent persuader, quand vient la vieillesse, qu’ils peuvent réparer cela en persécutant luthériens et réformés. » Et qu’on n’aille pas croire qu’elle se borne à cette sympathie toute platonique. Elle essaie de faire intervenir le régent son fils, qui, cela va de soi, s’empresse de reconduire : « La France ne pourrait s’en mêler à cause du clergé. Mon fils ne saurait s’en occuper, car, avec ces disputes entre molinistes et jansénistes, les deux partis se tourneraient contre lui et l’accuseraient d’être huguenot, parce qu’il ne se prononce ni pour les uns ni pour les autres. » Elle-même en tout cas ne se gêne pas pour dire que les persécutés ont toutes ses préférences. Elle dit sa façon de penser au secrétaire d’ambassade de l’électeur, et cela vertement : il en est tout penaud. Les commissaires du roi de Prusse d’ailleurs, en travaillant avec la lenteur que l’on sait, n’étaient pas aussi désagréables à leur maître qu’à Madame. Si d’un côté il entrait dans les vues de la cour de Berlin de jouer le rôle de protectrice des opprimés et de supplanter la Saxe dans la direction de l’Allemagne protestante, il ne lui déplaisait nullement de peupler la Marche sablonneuse de réfugiés du Palatinat comme, quarante ans auparavant, de

  1. Confesseur de la duchesse de Bourgogne.