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et parce qu’il a tellement aimé le monde qu’il a donné son fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle[1], nous pouvons certes être tranquilles et contens ; car, si après cela il nous envoie des malheurs, c’est qu’il veut nous châtier en ce monde, afin que nous ne soyons pas châtiés dans l’autre ; c’est là une grande consolation, elle nous permet de mourir tranquilles. Nous envoie-t-il des joies, eh bien, c’est une occasion de lui rendre grâces et de l’aimer davantage. Ainsi Dieu fait tourner tout à notre avantage pourvu que nous sachions bien accueillir et accepter ce qu’il nous envoie. Voilà ce que je pense, chère Louise… » Elle blâme, il est vrai, Luther d’avoir été trop loin, mais ce blâme même laisse voir combien peu le catholicisme avait eu de prise sur elle. « Le docteur Luther a été comme tous les gens d’église ; ils veulent tous être les maîtres et gouverner. S’il avait pensé au bien général de la chrétienté, il n’aurait pas fait un schisme… Calvin et lui auraient fait mille fois plus de bien s’ils n’avaient pas fait de schisme, s’ils avaient instruit le monde sans faire tant de bruit : ce qu’il y a de plus sot dans la doctrine romaine aurait disparu tout doucement et de lui-même. »

Ce n’est pas là le langage d’une prosélyte, et d’ailleurs elle avait dans sa collection de médailles, qu’elle aimait à montrer à tout venant l’effigie de Luther en double, en argent et en or. Avant son abjuration, elle appartenait non pas à l’église luthérienne, mais bien à la confession réformée, comme toute la branche palatine des Simmern qui s’éteignit avec elle. On a très bien fait de rectifier en ceci Sainte-Beuve ; mais son long séjour à Hanovre, qui jusqu’à nos jours est resté la citadelle de l’orthodoxie luthérienne et qui fait à cette heure l’opposition la plus violente au mariage civil récemment introduit en Prusse, est sans doute cause qu’au fond de l’âme elle se range plutôt du côté des luthériens, surtout en ce qui regarde la sainte cène. Du moins la façon de communier que l’on a dans l’église réformée française de Mannheim n’est pas du tout de son goût : « Je n’aimais pas à m’approcher de la table sainte dans l’église française ; cela se passe tout autrement que chez les Allemands et ne me plaît d’aucune façon. D’abord il n’y a pas de préparation à la sainte cène ; secondement les psaumes que l’on chante sont écrits dans une langue qui a vieilli, c’est comme si on lisait l’Amadis ; ensuite la piaillerie des petits garçons récitant le Décalogue : « Tu ne mentiras pas, tueras pas, etc., » me semblait bien sotte, et enfin je ne pouvais souffrir que l’on donnât le vin dans des verres qu’après on rinçait. Je l’ai vu faire à Mannheim, et n’ai pas trouvé cela respectable et digne d’une chose si sainte ; cela ressemblait à une

  1. Madame cite textuellement les saintes Écritures. Évangile selon saint Jean, III, 16.