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probables d’un public de province. On y a donc mis un peu de tout : des morceaux à effet, des romances langoureuses, le traditionnel concerto de piano, voire quelque trio classique écourté pour la circonstance et encadré, comme si on demandait grâce pour lui, entre des variations brillantes et une chansonnette comique. Et c’est là souvent tout ce qu’on peut entendre de musique dans nos grandes villes. On y cultive cependant à force le piano, et vous seriez confondu de ce qui s’y dépense annuellement pour procurer aux jeunes filles un de ces jolis talens dits d’agrément dont il y a longtemps déjà Tæpffer parlait avec une si spirituelle justesse. Plaignez les professeurs qui sont voués à cette ingrate occupation, ceux du moins qui, dans de telles conditions, ont pu garder encore quelque amour de leur art. Combien, et des meilleurs, ont senti peu à peu se refroidir en eux la flamme de leur jeunesse et, découragés par l’indifférence générale, lassés par l’absorbant métier auquel le marchandage des pensions et des couverts les condamne sans répit, combien en viennent à ne plus rien réserver de leur vie pour la satisfaction de leurs goûts les plus chers.

N’est-ce pas là une situation déplorable, humiliante, si on la compare à celle de l’Allemagne et aux ressources dont disposent chez elle les plus petites localités ? Et notez que jusqu’ici notre rapprochement n’a eu trait qu’à la musique instrumentale. Que serait-ce s’il s’agissait de la musique chorale ! Il est vrai que, sur ce point, Paris n’est guère mieux partagé que la province. Malgré de généreux efforts, les tentatives réitérées de MM. Pasdeloup, Bourgault-Ducoudray, Lamoureux et d’autres encore n’ont pu jusqu’à présent aboutir à fonder une de ces fortes associations que l’Allemagne possède en si grand nombre. À peine quelques sociétés chorales ayant un but spécial et un personnel restreint ont-elles réussi à s’assurer une existence modeste[1]. Rien de grand ni de durable n’a pu vivre jusqu’ici, rien qui égale les élémens que possèdent à côté de nous des villes de trente à quarante mille âmes ; rien à plus forte raison qui approche de cette association rhénane dont nous avons parlé et dont le fait suivant peut suffire à montrer l’active et puissante organisation. L’an dernier, pendant le festival de la Pentecôte qui avait lieu à Cologne, quelques personnes désireuses de rendre hommage à un compositeur de cette ville, M. Max Bruch, qui, jeune encore, est déjà célèbre[2], proposèrent d’exécuter une

  1. Il n’est que juste de citer cependant, mais comme une honorable exception, l’excellente société chorale fondée et dirigée depuis une vingtaine d’années par M. Guillot de Sainbris : encore a-t-elle conservé un caractère en quelque sorte privé, et, s’il lui arrive parfois de donner des concerts payons, c’est toujours au profit d’œuvres de bienfaisance.
  2. Cette année encore, au printemps, une nouvelle œuvre de Max Bruch : la Cloche (de Schiller), cantate avec chœurs et solos, a été montée et exécutée avec le plus grand succès à Cologne.