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dessin, l’architecture, la peinture[1], les décors, les costumes qui dominent dans ce coûteux édifice élevé à l’honneur de la musique. Elle y figure comme un accessoire, mais plus que les oreilles, les yeux y trouvent leur satisfaction.

Nous conviendrons sans peine que, pour l’entente de toutes les ressources scéniques, le luxe et le goût qui règnent à l’Opéra surpassent de beaucoup ce qu’on peut trouver à cet égard sur les plus grands théâtres de l’Europe, et nous n’entendons nullement, dans un accès de puritanisme hors de saison, qu’il faille nous dépouiller de ces splendeurs et prêcher le retour à la simplicité antique. Nous ne ferons même aucune difficulté d’avouer que tout ce qui peut rehausser l’éclat d’une représentation nous paraît, à sa place à l’Opéra ; mais à la condition, encore une fois, que tout cela reste subordonné à la musique, car tout cela ne compense pas pour nous le manque d’un répertoire, et c’est un répertoire que nous réclamons. Si donc la maison est ainsi montée, si ses conditions de vie sont telles qu’elle ne puisse se soutenir qu’avec la subvention énorme de l’état, nous ne demandons pas qu’on la lui supprime, mais nous pensons qu’à raison de ce qu’il donne, l’état doit intervenir dans le contrat. C’est son droit et son devoir de se constituer le gardien des intérêts supérieurs de l’art et de faire de l’Opéra pour la musique lyrique ce qu’est le Conservatoire pour la musique instrumentale, ce qu’est le Théâtre-Français pour la littérature dramatique. Il faut que tous les chefs-d’œuvre que l’admiration publique a consacrés et rendus classiques composent son répertoire. C’est ainsi que les Allemands comprennent la mission de leurs grands théâtres, et c’est pour cela que ceux-ci remplissent un rôle utile dans le mouvement de culture générale de la nation. Il est étrange, en vérité, que, même pour quelques-unes des productions de nos propres compositeurs, nous ayons plus de chances de les entendre à l’étranger que sur la scène française, et il n’est pas moins étonnant de voir d’autres œuvres se maintenir chez nous sans qu’un mérite assez éclatant justifie pour elles ce privilège, mais uniquement, sans doute, parce qu’elles comportent un déploiement plus complet des pompes de la mise en scène.

Le moment nous paraît venu d’opposer formellement sur ce point la ferme volonté de l’état au bon plaisir des directeurs. Il nous semble même que, pour l’avenir, les intérêts de l’art sont en ce cas d’accord avec ceux d’une gestion intelligente. Quand la

  1. Même à ce point de vue, il nous sera cependant permis de faire nos réserves et de déplorer que l’œuvre d’art la plus remarquable de l’Opéra, une de celles qui honorent le plus notre école contemporaine, nous voulons dire la décoration da foyer par M. Baudry, Soit non-seulement malt vue, mais, ce qui est pis, condamnée à une détérioration prochaine.