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en Allemagne, l’estime où l’on y tient la plupart des artistes. Fixés parfois depuis longtemps dans la même ville, ils y sont en possession de la sympathie ou même de la considération publique. On fraie avec eux ; on les connaît autrement que par la chronique de leurs scandales et de leurs aventureuses existences. Non que nous prétendions que tous soient exemplaires et que les coulisses germaniques n’aient point aussi leurs mystères. Mais en somme, et mettant à part quelques artistes appartenant presque exclusivement à l’élite parisienne, le personnel du théâtre se trouve chez nous, surtout en province, dans des conditions de culture intellectuelle et morale inférieures à celles qui lui sont faites chez nos voisins.

Bien des choses, on le voit, concourent, au-delà du Rhin, à faire du spectacle un plaisir élevé, général, et qui a sa place dans la vie nationale. C’est à la composition même du répertoire lyrique qu’il faut surtout attribuer, croyons-nous, cette fréquentation et aussi les habitudes et l’éducation qui en résultent. La richesse de ce répertoire constitue, au point de vue musical, une des plus grandes supériorités de l’Allemagne, une des plus enviables, puisqu’elle amène et explique les autres. Sans craindre de voir, pendant une année entière, un petit nombre d’opéras, toujours les mêmes, tenir l’affiche, les abonnés (et cela même fait qu’ils sont nombreux) sont assurés de parcourir dans une saison le cercle presque entier des chefs-d’œuvre de l’art musical. En six mois, sur chacune des grandes scènes, à Vienne, Dresde, Berlin et Munich, vingt-cinq ou trente ouvrages différens se succèdent, empruntés à tous les temps et à toutes les écoles. Ce sont : les opéras de Gluck, le Fidelio de Beethoven ; Mozart avec Idoménée, la Clémence de Titus, l’Enlèvement au Sérail, la Flûte enchantée, les Noces et Don Juan ; Weber avec Euryanthe, Oberon, Freyschütz ; la Vestale et Fernand Cortès de Spontini ; Lodoïska et les Deux Journées de Cherubini ; Joseph de Méhul ; les opéras de Meyerbeer, de Rossini, de Verdi ; des opéras comiques tels que le Maçon, le Chalet, le Pré aux Clercs, la Dame blanche, etc. ; enfin les productions récentes dont la place est naturellement réservée, en un mot, un choix de toutes les créations auxquelles les génies ou les talens les plus divers ont donné la vie[1].

On conçoit aisément quelles facilités de comparaison et par conséquent quel ressort cet intelligent éclectisme procure à l’éducation musicale d’une nation. Outre le profit qu’en retire le goût public, ce renouvellement incessant du répertoire tient en éveil les chanteurs,

  1. Comme preuve de cette variété des spectacles lyriques, citons ici los affiches d’une seule semaine dans deux capitales. À l’Opéra de Berlin : Freyschütz, la Croix d’or d’Ignace Brull, Guillaume Tell, le Prophète, le Faust de Gounod, celui de Spohr et Joseph de Méhul. À Munich : Tannhœuser, Lohengrin, Fidelio, Joseph de Méhul et Manfred de Schumann.