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l’enthousiasme de commande et les sentimentales divagations de certains critiques, s’attache à démontrer que, réduite au simple élément du mouvement mélodique, la musique occupe encore un domaine assez vaste et assez riche. En l’étudiant à son tour au point de vue physiologique, un des savans dont l’Allemagne s’honore le plus justement, Helmholtz, laisse comme involontairement paraître, derrière la précision voulue du langage scientifique, une âme ouverte à ses beautés les plus élevées. La musique est goûtée par des poètes tels que Schiller et Goethe, et des créations comme le Violon de Crémone ou les pages émues sur le Don Juan de Mozart montrent assez à quel point un Hoffmann en savourait le charme.

A côté des philosophes, des savans et des écrivains, on voit des compositeurs : Weber, Mendelssohn, Schumann et Hiller entre autres, s’appliquer, avec l’autorité qui leur appartient, à servir encore de leur plume l’art dans lequel ils s’illustrent par leurs œuvres. Sans parler des travaux concernant l’histoire générale de la musique, de consciencieuses monographies, parues dans ces derniers temps, ont mis en pleine lumière les époques et les hommes les plus célèbres. Les biographies de Bach par Spitta, de Händel par Chrysander, de Haydn par Pohl, de Mozart par Otto Jahn, de Beethoven par Thayer, de Weber par son fils Max de Weber, etc., sont des études définitives que le public français aurait intérêt à connaître. La publication et la révision des textes de tous les maîtres classiques de l’Allemagne ont été également l’objet de soins attentifs, et, parmi les nombreux témoignages de ce culte respectueux, il convient de citer en première ligne cette magnifique édition des œuvres de Bach, qui comprend déjà vingt-cinq volumes, véritable monument élevé en l’honneur de ce fécond et prodigieux génie. Par leur luxe, par la supériorité de leur gravure sur tous les travaux du même genre, par leur correction ou leur bon marché, ces publications forment une des spécialités les plus renommées de la typographie allemande. Dans toutes les grandes villes, à Leipzig en particulier, il se fait, dans cette seule branche de la librairie, un mouvement d’affaires considérable, et certains éditeurs sont connus du monde entier pour l’importance de leurs entreprises et l’étendue de leurs relations.

A ne le considérer que dans ses abords et ses dépendances, on peut déjà juger ce qu’est en Allemagne ce vaste domaine de la musique. Il nous a paru qu’il y aurait quelque intérêt à y pénétrer et à passer successivement en revue les diverses manifestations de cette activité musicale. Cet examen nous procurera l’occasion naturelle de plus d’un retour sur nous-mêmes et permettra de signaler plus nettement ainsi les progrès que nous aurions à faire et les innovations qu’il semblerait utile de voir acclimater chez nous.