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investissent de près toute ville turque, camp de la mort qui fait éternellement le siège de la vie.

Nous traversons des vignes, un long faubourg bordé de petites maisons dans des vergers, et nous entrons dans la ville. C’est ici que les gracieuses apparences s’évanouissent pour céder la place à la réalité : des rues étouffées, de chétives maisons de bois, des constructions lépreuses, des cloaques innomés. Sur plusieurs points, le quai s’est formé très simplement, par les immondices accumulées de la ville, qui gagnent sur la mer et étayent seules les baraques et les estacades : on a l’intention d’achever un quai de pierre, mais dans ce pays surtout, si les bonnes intentions se transforment en pavés, ces pavés ne servent pas en ce monde. Tandis que je cherche à m’orienter dans ce triste labyrinthe, ma bonne fortune me fait rencontrer le consul de France, M. Moulin, qui me ramène dans le faubourg à sa maison d’été : une hospitalité cordiale me donne là le loisir de me reposer quelques jours entre les fatigues de l’Athos et celles qui m’attendent en Thessalie.

En faisant plus ample connaissance avec Salonique, durant ces quelques jours, mon impression première ne s’est guère modifiée. Le seul mérite de la ville est d’avoir conservé une série d’églises fort anciennes, qui permettent de suivre pas à pas les transformations du procédé architectural durant les premiers siècles du christianisme. Sous ce rapport, Salonique est un musée unique dans le Levant et qui n’a son égal qu’à Rome. La basilique romaine est représentée par un type très pur, Saint-Dimitri. Convertie en mosquée, elle a gardé dans une chapelle le tombeau du saint ; l’imam y entretient pieusement une lampe pour le compte des chrétiens, qui lui apportent leur rémunération en venant y prier ; rare et touchant exemple de confraternité entre les deux cultes. — Nous trouvons ensuite un panthéon, avec sa rotonde païenne, coiffée d’une coupole, qui doit dater de Constantin et reproduit exactement le panthéon d’Agrippa. Enfin le siècle de Justinien comparaît avec l’inévitable Sainte-Sophie, calquée sur le plan de la métropole byzantine, aux quatre nefs en croix, engendrant la coupole centrale. Ici d’élégantes mosaïques ont échappé au voile de chaux réglementaire des maçons musulmans. Si les conquérans avaient montré partout la même modération qu’à Salonique, l’Orient ne serait qu’un vaste musée d’un inexprimable intérêt. Quand les cultes ne bâtissent pas pour leur compte et se contentent de l’héritage de leurs prédécesseurs, ne pourrait-on pas leur demander d’être plus respectueux de ce patrimoine ? Voici des temples dont deux au moins ont abrité trois formes successives.de la piété humaine ; ils n’en sont que plus vénérables, et les religions ne gagnent rien à brûler