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de la frontière de Grèce au-delà de la Thessalie méridionale. Je fis appel à mes souvenirs, et j’eus la satisfaction, — en est-il une plus grande pour un voyageur sincère ? — de constater que mes prévisions d’une autre époque sur la nécessité et les limites d’un remaniement de territoire s’accordaient avec les décisions autorisées de la haute assemblée. La Thessalie, peut-être un peu négligée par les Parisiens en temps ordinaire, est à l’ordre du jour depuis quelques semaines : le public français s’est pris d’intérêt pour les questions qui la concernent, et des impressions recueillies dans le pays paraîtront aujourd’hui à leur heure. Ces impressions ne peuvent avoir quelque valeur qu’à la condition de rester ce qu’elles étaient à un moment où rien ne faisait prévoir les changemens actuels. Je transcrirai sans aucune addition mes notes de 1875. Quand repassent devant nos yeux les éclatantes visions laissées par notre jeunesse sur les routes, il faut leur garder assez de tendresse et de regrets pour ne pas amortir leur lumière avec les ombres qui se sont placées entre elles et nous.


Salonique, août 1873.

Deux journées de cheval nous ont suffi pour traverser en écharpe la péninsule chalcidique, de l’Athos jusqu’à Salonique. L’ancien berceau de la puissance macédonienne est aujourd’hui une assez triste terre. En contournant le golfe de Cassandre, on laisse derrière soi quelques riches métochies de la Montagne-Sainte ; en dehors de ces îlots de végétation, la terre est à peine cultivée, les hameaux se font rares et maigres ; quelques chevriers paissent leurs troupeaux sur les ruines d’Olynthe et de Potidée. Le second jour on suit de monotones plateaux de bruyères, coupés par des lits de torrens à sec, qui vont s’abaissant vers le golfe Thermaïque sur notre gauche. Çà et là une échappée de vue sur le golfe fait oublier la fatigue en ménageant un admirable tableau ; l’horizon de mer est encadré par les crêtes décroissantes de l’Olympe, de l’Ossa et du Pélion, noyées dans une tremblante vapeur rose, demeures prêtes pour les divinités idéales. Vers le soir, nous franchissons un dernier plateau, à l’extrémité duquel Salonique nous apparaît enfin, allongée en forme de croissant au fond de son golfe, en amphithéâtre sur les croupes du mont Kortasch, assez semblable à Smyrne, sa sœur d’Asie. C’est la cité orientale, qu’il faut voir passer de loin dans le rêve, sans l’approcher : coquette et blanche à plaisir, se mirant dans les eaux lumineuses, avec son-noir bandeau de cyprès autour du front. Ces arbres marquent les lignes de cimetières qui