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importante qu’elle s’empare de toute la vie, et ne laisse plus de place aux occupations les plus nécessaires. On ne voit pas qu’Apollonius ait jamais rempli aucune des fonctions du citoyen ; il se dispense même des devoirs de la famille. Dès sa jeunesse, il s’était promis « de ne pas se marier, et de n’avoir commerce avec aucune femme. » Il pratiquait des abstinences sévères, se nourrissait de légumes et de fruits et ne buvait jamais de vin. Il avait un vêtement qui le distinguait du reste des hommes ; il marchait nu-pieds, ne portait que des étoffes de lin et laissait croître sa chevelure. Sous cet accoutrement et avec ces habitudes, Apollonius ressemblait plutôt à un moine chrétien qu’à un Platon ou à un Socrate.

Ajoutons qu’Apollonius, quoique étranger aux fonctions civiles, n’en est pas moins un politique. En cela encore il se distingue de Jésus, qui a établi nettement que son royaume n’était pas de ce monde et qui ne parut jamais prendre aucun souci des maîtres qui gouvernaient la Palestine. Mais dans la société de Julia Domna et de ses amis, où l’on vivait si près du pouvoir, il n’était pas possible qu’on se désintéressât des affaires publiques. Les opinions politiques d’Apollonius sont celles de presque tous les gens d’esprit et de cœur de cette époque. Ce n’est pas un complaisant, mais ce n’est pas non plus un rebelle. En principe il accepte l’empire. Philostrate suppose qu’au moment où les légions d’Orient viennent de saluer Vespasien empereur, il rassemble ses amis les philosophes pour savoir ce qu’il doit faire. L’un d’eux lui conseille sans détour de ne pas accepter le pouvoir suprême et de restaurer la république ; un autre, plus timide, veut qu’il interroge le peuple et qu’il accorde aux Romains le gouvernement qu’ils souhaitent. Apollonius est d’avis que Vespasien fera bien de garder l’autorité, « Pour moi, dit-il, tous les gouvernemens sont indifférens, car je ne relève que de Dieu ; mais je ne veux pas que le bétail humain périsse, faute d’un bon et fidèle pasteur. » Il est vrai qu’il s’empresse de lui donner les plus nobles conseils : « Secourez les indigens et laissez les riches jouir en paix de leurs biens. Craignez votre pouvoir absolu, c’est le moyen d’en user plus modérément. Gardez-vous de couper les épis qui s’élèvent au-dessus des autres, comme le conseille fort injustement Aristote ; ayez plutôt soin d’enlever la haine des cœurs comme on enlève des blés les mauvaises herbes. Obéissez à la loi tout le premier ; si vous l’observez, vous serez vous-même un législateur prudent. Respectez les dieux plus encore que vous ne l’avez fait jusqu’ici, car vous avez beaucoup reçu d’eux et vous leur demandez davantage. » Si le prince n’écoute pas ces sages avis, s’il devient un despote cruel, surtout s’il persécute les philosophes, Apollonius ne se croit pas obligé de continuer à lui obéir. Il lui