Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/110

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et des chrétiens, « pour que les prêtres de son Dieu eussent le secret de toutes les religions. » Le syncrétisme du cousin d’Héliogabale, Alexandre Sévère, était moins grossier, et plus digne de cet homme distingué qui fit honneur à l’empire. On raconte qu’il avait réuni, dans sa chapelle privée, les statues de ceux qu’il regardait comme des esprits d’élite et des âmes saintes, Abraham, Orphée, Jésus-Christ, Apollonius, et qu’il venait tous les matins leur adresser ses prières. Il n’y a donc rien d’invraisemblable à croire que le même goût pour le syncrétisme religieux que nous retrouvons chez les deux derniers princes de cette famille fut partagé par la femme du chef de la dynastie. De là on arrive aisément à comprendre qu’elle ait encouragé Philostrate à écrire la vie d’Apollonius.

Julia Domna avait certainement lu l’Évangile. On peut affirmer que cette lecture ne l’a pas laissée indifférente, et qu’elle a dû éprouver quelque émotion à contempler la belle figure de Jésus. Mais elle était païenne et nourrie des chefs-d’œuvre de la Grèce. Son esprit, prévenu par ses premières croyances, par l’attrait de ses admirations littéraires, penchait à croire qu’il manquait à cette figure, pour que la beauté en fût accomplie, de s’être produite dans un milieu différent et qu’elle gagnerait beaucoup à être replacée dans le monde grec. C’est ainsi sans doute qu’elle conçut l’idée étrange d’une sorte de Christ païen, en qui les plus belles inspirations de l’Évangile s’uniraient aux plus nobles souvenirs de la philosophie antique, et qui serait éclairé à la fois de ces deux lumières. L’impératrice savait bien qu’il n’existait pas de personnage de ce genre, et qu’il fallait l’inventer. Dans son cercle, on ne pouvait pas être dupe de l’œuvre de Philostrate ; personne n’ignorait que c’était un roman. Il ne faut donc pas prétendre qu’on y avait l’intention d’opposer Apollonius, le véritable Apollonius de Tyanes, au Christ. Il était impossible qu’on pensât que ce sage ou ce devin qui avait vécu obscurément au Ier siècle et dont la renommée était si incertaine fût supérieur à Jésus ; mais on croyait qu’il aurait pu l’être en réunissant en lui les qualités que révèle l’Évangile et ce je ne sais quoi d’achevé que peut seule donner la sagesse grecque. C’est en partant de cette supposition qu’on eut l’idée d’inventer un personnage en qui l’on montrerait ce mélange accompli. Voilà, j’imagine, avec quelle intention et dans quel esprit l’ouvrage de Philostrate fut composé.

On voit tout de suite l’importance que prend ce livre. C’est un de ces romans qui méritent d’être lus avec soin parce qu’une société y a mis son idéal. Depuis que le christianisme commençait à être mieux connu, des besoins nouveaux s’étaient répandus avec lui dans le monde. Parmi ceux qui avaient ressenti cette influence, les