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contraire provoquée encourant par écrit de se constituer prisonnier. » — A qui a-t-il écrit ? à qui a-t-il demandé des juges ? à la chancellerie ? à la justice militaire ? à la préfecture de police ? Je ne le sais, car je n’ai trouvé trace d’aucun document de ce genre. Est-ce que ma déclaration que je viens de citer et qui semble évoquer le souvenir d’une jeune femme et d’un jeune enfant, serait l’acte par lequel M. Héreau a provoqué l’action de la justice ? Ce n’est vraiment pas sérieux. Demander des juges à M. Barbet de Jouy, c’était en faire un sauveur ; les délégués s’en sont bien aperçus.

M. Héreau reproduit une lettre de Cabet qui était un grand artiste et un excellent homme. Elle prouve que Cabet s’est entremis pour obtenir en faveur de M. Héreau un témoignage favorable. Cela ne me surprend guère, mais j’étonnerai peut-être M. Héreau en lui disant qu’à la place de Cabet j’en aurais fait tout autant, et que, si son aventure n’avait été publiquement et contradictoirement débattue devant un conseil de guerre, il est fort probable que j’aurais fait pour lui ce que j’ai fait pour tant d’autres, et que je n’aurais même pas prononcé son nom. M. Héreau est convaincu, et je suis persuadé qu’il est de bonne foi, qu’il a sauvé quelque chose au Louvre ; je crois qu’il se trompe et que c’est le Louvre qui l’a sauvé. S’il avait eu, à ce moment redoutable, l’action préservatrice qu’il s’imagine avoir exercée, il eût bénéficié d’une ordonnance de non-lieu comme 23,727 individus compromis dans la commune, ou eût été acquitté comme 2,445 accusés. Il a été puni pour immixtion dans des fonctions publiques, On a écarté la prévention d’arrestations illégales qui n’aurait pas dû être soulevée : la peine a été sévère, je le reconnais, car aucun méfait sérieux n’était à la charge de M. Héreau, qui, comme le dit M. Darcel, est un très honnête homme. Il n’en a pas moins été coupable de brutalité dans l’exercice de ses fonctions usurpées. On peut avoir une personnalité excessive et être probe ; on peut manquer d’urbanité et n’être pas dénué de délicatesse. C’est là tout ce que j’ai voulu dire, c’est ce que j’ai dit, et j’estime qu’il était très facile de n’être pas délégué aux musées.

M. Héreau cite la péroraison de la plaidoirie de M. Liouville ; je connais M. Liouville et je sais tout ce que l’on peut attendre de son talent et de son caractère. Mais si je citais la fin du réquisitoire de M. le commissaire du gouvernement, qu’en penserait M. Héreau ? Les paroles de M. Liouville constituent un fragment de beau langage, mais ne sont point un document historique. Le premier devoir d’un avocat est de défendre son client ; il prend ses argumens dans les faits spéciaux, lorsqu’il en existe, sinon dans les idées générales ; c’est le cas actuel, j’accepte néanmoins l’argumentation de M. Liouville. Oui, c’est l’amour de l’art, mais c’est surtout la passion du devoir qui a sauvé le Louvre. Si les fonctionnaires réguliers n’étaient courageusement restés à leur poste, tout était perdu et particulièrement M. Héreau. Si l’armée pénétrant