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avec eux afin de les empêcher de communiquer avec les fédérés, qui occupent la rue de Rivoli, soit en jetant des papiers par la fenêtre, soit en les appelant. Je fus relevé de ma faction aubout d’un certain temps par le gardien L., qui resta jusqu’à la fin auprès des délégués : c’est un ancien militaire, homme de devoir et d’honneur, en qui on pouvait avoir toute confiance. » J’ai résumé ainsi le récit du témoin oculaire : « Ces deux niais, qui s’étaient fourvoyés dans une aventure dont le plus simple bon sens aurait dû prévoir la fin, furent enfermés dans les appartemens de la direction et gardés à vue, dans la crainte qu’ils ne jetassent quelque billet ou quelque avis aux fédérés qui passaient dans la rue de Rivoli, » et je me hâte d’ajouter : « Crainte illusoire ; ces deux pauvres diables ne songeaient qu’à sauver leur peau et leur liberté, qui furent sauvées. » Si c’est là insinuer que M. Héreau était capable de se mettre en communication avec « les pillards et les incendiaires, » pour assurer la perte du Louvre, j’avoue ne plus rien comprendre à la signification des mots.

M. Héreau me demande ; pourquoi je n’ai pas fait mention de la pièce écrite par lui le mercredi 24 mai, à deux heures du matin, alors qu’il était gardé à vue, et que M. Darcel a citée dans son travail. Mais simplement parce que la pièce, — celle du moins que reproduit M. Héreau, — est tronquée et que, pour avoir toute sa valeur, elle doit être complétée, ce qu’il m’est facile de faire, car je l’ai entre les mains. Mais il faut dire que cette pièce fut portée, pendant la même nuit, par Mme D., qui n’avait pas voulu quitter son mari et qui inspirait à tout le personnel du Louvre un intérêt justifié par son dévoûment : « Déclaration. Je soussigné déclare ne pas vouloir profiter de la liberté qui m’est offerte par M. Barbet de Jouy[1]. Je me constitue prisonnier et demande des juges, ma conscience ne me reprochant rien. Abandonné ici par ceux qui m’y avaient délégué, je crois que mon devoir est de rester et non de fuir. Je tiens à la disposition de M. Barbet de Jouy la clé du bureau où sont déposés les divers papiers concernant notre intervention au Louvre. Je dépose aussi dans ce tiroir un petit revolver dont j’étais porteur. Mercredi 24 mai, deux heures du matin. Jules Héreau, artiste peintre. Médailles 1865, 1868. Marié à Mlle L. D., artiste peintre, le 3 avril 1869 ; un enfant de quatorze mois. Ma femme et mon enfant absens de Paris, dans sa famille, département de l’Oise. » Et sur une feuille de papier annexée à la pièce précédente : « Monsieur, en présence des difficultés sans cesse renaissantes, nous acceptons avec reconnaissance l’asile que vous voulez bien nous offrir dans votre cabinet, nous remettant sous votre sauvegarde. Signé ; D. »

Au début de sa réclamation, M. Héreau dit que, « loin de chercher à se soustraire aux conséquences d’une action judiciaire, il l’avait au

  1. Les termes par lesquels M. Barbet de Jouy « offrit la liberté » aux délégués sont exactement ceux-ci : « Sortez de cette maison, où jamais vous n’auriez dû entrer. »