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nos chefs-d’œuvre. C’est en vain que je leur dis que cette mesure, prise en vertu d’ordres supérieurs et d’une décision du conseil des ministres, était en effet discutable, mais que l’intention de l’administration ne pouvait être mise en doute ; leur colère augmentant toujours, je n’avais plus rien à répondre. »

En lisant la réclamation de M. Héreau, il m’a semblé qu’il répliquait à un réquisitoire imaginaire, à des préoccupations vagues dont il n’avait point rencontré la formule dans mon article. Il trouve que le portrait que j’ai fait de lui est excessif, et il cite celui qu’en a tracé la plume spirituelle de M. Darcel : « Petit, nerveux, susceptible, plein de lui-même, » — je n’y contredis pas, car, dans le journal intime dont j’ai parlé, je trouve un portrait analogue : « M. Héreau est de taille moyenne ; maigre, nerveux, impérieux, semble avoir beaucoup de vanité, de la ténacité, une préoccupation constante de sa personnalité. » — Il n’en faut pas plus pour rendre un administrateur insupportable. Les personnalités qui ne savent se contenir manquent naturellement de mesure et tombent involontairement dans des excès d’autorité dont elles n’ont même pas conscience. J’en vois la preuve, relative à M. Héreau, dans le rapport d’un des conservateurs : « 18 mai… On parle d’apposer les scellés. Malgré quelques difficultés pratiques que j’entrevois pour certaines parties de la collection, j’adhère à cette idée qui me semble offrir une espèce de garantie, mais à la condition que je mettrai ma signature sur chaque bande de scellé ; on s’y oppose, j’insiste, grande animation des délégués. Je ne cède pas. Les invectives des citoyens Héreau et… se succèdent. A une injure que m’adresse le citoyen Héreau et qu’il m’est impossible de tolérer, je me lève avec l’intention de lui donner un soufflet. M. O… s’interpose et cherche à atténuer le sens des paroles de son collègue. Je me retire ; aux instances de ces messieurs pour me retenir, je réponds que je serai prêt à reprendre la conversation, lorsqu’ils seront plus calmes. — 19 mai (apposition des scellés), pendant cette opération, j’échange quelques paroles avec M. O…, il n’a pas l’arrogance de ses collègues, il est convenable et poli. « J’ai souffert, me dit-il, de la scène que l’on vous a faite hier. Ces hommes sont d’une extrême violence, et je commence à leur être suspect ; ne me parlez plus, on nous observe. » — Je me lève ; — quelques instans après, je le rejoins dans l’embrasure d’une croisée ; il me dit : « Vous êtes d’honnêtes gens, et je me fais un devoir de vous prévenir qu’un mandat d’amener est lancé contre vous tous et qu’il sera exécuté lundi. — Merci, répondis-je, — et nous nous séparâmes. » En vérité, je comprends que M. Héreau m’accuse d’inexactitudes graves, car, parlant de lui, j’ai dit : « Il voulut se donner de l’importance et ne réussit qu’à faire prendre le change sur son caractère. »

La date du lundi 22 mai, fixée pour l’arrestation de tous les fonctionnaires du Louvre, n’était pas rigoureusement exacte. En réalité ils