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eu à ma disposition les rapports que tous les chefs de service ont adressés à la direction, les rapports que les surveillant ont remis aux chefs de service, et qui sont déposés aux archives des musées ; en outre, j’ai eu des journaux écrits, pour ainsi dire heure par heure, par de hauts fonctionnaires témoins et souvent victimes des faits qui se sont produits à cette époque. Enfin, dès que la réclamation de M. Héreau a été connue, j’ai reçu en communication un journal absolument intime que l’on m’envoyait « pour rassurer ma conscience, qui cependant doit être bien en repos. » Il est superflu de dire aux lecteurs les noms des personnes qui ont écrit les rapports ou tenu les journaux ; ces noms, M. Héreau les devinera sans peine, et cela seul est important.

Le 16 mai, tous les fonctionnaires appartenant au conservatoire des musées sont révoqués par la commune, sauf deux qu’une erreur a fait oublier ; la délégation prend possession du Louvre ; un des fonctionnaires non destitués, attaché à la conservation des antiques, est mandé le 17 auprès des délégués, et voici ce que je lis dans son journal : « M. O. me demande si je consens à rester et à recevoir mon traitement de la commune ; je lui affirme que je suis tout disposé à faire mon devoir au musée, sans aucune arrière-pensée, comme je l’ai toujours fait, mais que je n’accepterai pas l’argent de la commune. M. Héreau insiste pour que je remette entre les mains du délégué une note dans laquelle je déclarerais reconnaître le gouvernement de la commune. Cette demande est un serment déguisé, et elle me surprend profondément de la part de gens qui viennent d’abolir le serment politique et le serment professionnel. M. Héreau m’ayant annoncé son intention de faire ouvrir la grande galerie et d’y laisser les cadres vides des tableaux envoyés à l’arsenal de Brest, avec cette mention : disparus, je lui fis remarquer que ce mot ne devait pas être employé parce qu’il était de notoriété publique que ces tableaux étaient à Brest, et que c’était pour les préserver des périls de la guerre et non pas pour les faire disparaître qu’on les avait envoyés dans ce port. M. O. « reconnut la justesse de mon observation. »

Malgré l’observation faite par le fonctionnaire et admise par M. O., M. Héreau tenait à son projet ; le rapport d’un conservateur des musées de peinture, aujourd’hui en retraite, en fait foi : « Les délégués me déclarèrent, dit ce conservateur, qu’ils allaient faire remettre dans les bordures les tableaux de la grande galerie et inscrire dans les cadres vides des tableaux envoyés à Brest le mot disparu j’eus beau leur assurer que nous étions certains que ces peintures étaient bien dans l’arsenal de Brest, gardées par un employé de l’administration ; ils me répondirent qu’ils n’étaient point obligés de me croire, que j’aurais dû donner ma démission, si je m’avais pu empêcher ce vol, dont j’étais devenu le complice, et que lui, Héreau ! s’il était membre de la commune, me ferait arrêter et carder comme otage jusqu’à la rentrée de