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mens comme ceux dont j’ai été victime… Il dépendra de la Providence que je passe sans trouble le peu de temps qui me reste à vivre… « Il a parlé en même temps avec une gravité pressante de la nécessité de remédier au mal, non-seulement par des mesures politiques ; mais par le développement de l’éducation religieuse, par une direction nouvelle donnée à la jeunesse. Qu’est-ce donc que la puissance et l’éclat des armes ? Depuis douze ans l’Allemagne a été saturée de succès et même d’argent conquis. Elle a été élevée au plus haut sommet de la fortune par un souverain et par un ministre qui, le fer à la main, l’ont placée au premier rang parmi les états de l’Europe. Voilà le revers de la médaille ! l’Allemagne, c’est le langage officiel, est aujourd’hui dévorée par le socialisme, enlacée par les propagandes révolutionnaires. Le gouvernement juge indispensable de se faire armer de lois nouvelles de répression qui lui donnent une sorte de dictature, et ces lois, il ne les laisse pas dormir. Il a récemment décrété à Berlin ce qu’on appelle le « petit état de siège, » il supprime les journaux dangereux, les sociétés suspectes, il a expulsé de Berlin nombre d’individus et même des députés du parlement. « L’initiative que nous avons prise, a dit l’empereur Guillaume, donnera l’impulsion aux autres états… »

Que dit de son côté l’empereur Alexandre ? Il est arrivé récemment de Livadia à Moscou, et dans une allocution adressée aux autorités dans le palais du Kremlin, il fait allusion « aux tristes événemens qui se sont produits à Saint-Pétersbourg, » il parle avec mélancolie du temps où il ne sera plus là ; il dit à ceux qui l’entourent : « J’espère que vous m’aiderez à faire sortir la jeunesse de la voie dangereuse où l’entraînent des hommes auxquels on ne peut accorder aucune confiance… » La Russie cependant, elle aussi, est comblée de gloire, elle a vaincu le Turc, elle vient d’avoir tous les succès militaires. Cela ne l’empêche pas d’avoir son socialisme qui chez elle s’appelle le nihilisme. Des procès multipliés révèlent le triste état moral du pays, et jusque sous les yeux de la police des journaux imprimés secrètement, distribués partout, attaquent de front, avec violence, le gouvernement et la société. Voilà d’étranges choses qui sembleraient dénoter en Russie comme en Allemagne un ébranlement inquiétant, et qui ne sont pas seulement un spectacle curieux, qui peuvent avoir une influence sur la direction des politiques, sur la marche, sur le jeu des affaires européennes. La Suisse en a déjà ressenti les effets par les communications diplomatiques qui lui sont venues de divers cabinets, de Saint-Pétersbourg comme de Berlin, au sujet des propagandes socialistes dont elle est le refuge, et la Suisse s’est prudemment empressée d’exécuter administrativement un journal de démagogie particulièrement signalé. Il resterait à se demander si c’est un simple incident ou si c’est le premier acte d’une réaction décidée.