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QUATRE RENCONTRES.

paraître émue. Combien y a-t-il de temps que vous avez quitté la France ?

— J’y étais encore il y a deux mois.

— Vous êtes bien heureux ! Donnez-moi des nouvelles de mon vieux Paris. Ô mon boulevard ! Qu’est-ce qu’ils faisaient là-bas ?

— À peu près ce qu’ils font toujours, s’amusant beaucoup.

— Aux théâtres, hein ! dit la comtesse avec un soupir. Aux cafés-concerts ! Quelle existence ! Je suis Parisienne jusqu’au bout des ongles, moi.

— Miss Spencer s’est donc trompée, me permis-je de répondre, en me disant que vous étiez Provençale.

Elle rapprocha un instant son nez de sa broderie, qui avait un aspect graisseux.

— Je suis Provençale de naissance, dit-elle, mais Parisienne par inclination.

— Et par expérience aussi, je présume ?

Cette hypothèse me valut un nouveau regard scrutateur.

— L’expérience ! répéta-t-elle. Ah ! si j’avais su ce qu’elle me tenait en réserve !

Et elle me désigna avec son coude tout ce qui l’entourait, — le pauvre cottage, les cognassiers, la clôture délabrée qui séparait le jardin de la rue, voire M. Mixter.

— Vous êtes une exilée volontaire, répondis-je, et l’exil dans ces conditions cesse d’être une peine.

— En tout cas, ça n’est pas gai, je vous le garantis. Voilà deux ans que je suis ici et j’ai passé des heures… oh ! des heures ! Enfin je me figure par momens que je m’y accoutumerai ; mais il y a des choses dont on ne se déhabitue pas. Par exemple mon café…

— Prenez-vous toujours le café à cette heure ?

— Quand voulez-vous que je le prenne ? dit-elle en hochant la tête. Il me faut ma demi-tasse après déjeuner.

— Alors vous déjeunez bien tard.

— À midi, comme cela se fait ; ici, ils déjeunent à sept heures un quart. Ce quart m’amuse.

— Vous parliez de votre café, repris-je d’une voix sympathique.

— Ma cousine est une bonne fille ; mais elle ne peut pas comprendre que l’on tienne à avoir chaque matin sa demi-tasse, avec une goutte de cognac, de sorte que je suis forcée de le lui seriner presque tous les jours. Et quand le café arrive ! si je ne vous en offre pas, monsieur, vous m’excuserez, c’est que je sais que vous en avez pris sur les boulevards.

Cette façon dédaigneuse de reconnaître l’hospitalité de miss Spencer me causa une vive indignation. Toutefois, comme je ne