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QUATRE RENCONTRES.

— Il faut que j’aille chercher le café, dit-elle.

— Cette dame a-t-elle beaucoup d’élèves ? demandai-je.

— Elle n’a que M. Mixter, elle lui donne tout son temps.

Je réprimai une nouvelle envie de rire ; miss Spencer avait l’air trop sérieux.

— Il paie bien, ajouta-t-elle presque aussitôt avec simplicité. Il est très riche, il est très obligeant, il met sa voiture à la disposition de la comtesse et la conduit lui-même.

Et elle se disposait à s’éloigner.

— Vous allez chercher le café de la comtesse ? demandai-je.

— Si vous voulez bien m’excuser un instant.

— N’y a-t-il personne d’autre pour se charger de ce soin ?

— Je n’ai pas de domestique ! répondit-elle avec sérénité.

— Ne pourrait-elle se servir elle-même ?

— Elle n’est pas habituée à cela.

— Hum… Mais avant de vous éloigner, dites-moi au juste qui est cette dame.

— Je vous l’ai déjà dit, là-bas au Havre, — c’est la femme de mon cousin.

— La dame déshéritée à cause de son mariage ?

— Oui, sa famille n’a plus voulu la revoir.

— Et son mari ?

— Il est mort.

— Et votre argent ?

La pauvre institutrice baissa la tête ; il y avait quelque chose de trop méthodique dans mon interrogatoire.

— Je ne sais, répondit-elle avec un air de lassitude.

— Et à la mort de son mari, cette dame vous a rendu visite. Y a-t-il longtemps de cela ?

— Il y a deux ans.

— Et sa visite dure depuis deux ans ?

— Elle n’a que moi.

— Le séjour de Grimwinter lui plaît ?

— Pas du tout.

— Et vous, cette longue visite vous plaît-elle ?

Miss Spencer se cacha le visage dans les mains, comme elle l’avait déjà fait un quart d’heure auparavant ; puis elle partit bien vite pour aller chercher le café de la comtesse.

Je demeurai seul dans le petit parloir. Je voulais en apprendre davantage, bien que déjà presque convaincu que je chercherais en vain à soustraire miss Spencer à l’esclavage qu’elle s’imposait. Au bout de cinq minutes, l’élève de la comtesse se montra à la porte. Il resta un instant à me regarder, les lèvres entr’ouvertes.