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QUATRE RENCONTRES.

sine, aux vieux murs jaunis à moitié cachés sous des plantes grimpantes, était bien l’asile qui convenait à une pauvre institutrice amoureuse du pittoresque. Arrivé près du cottage, je ralentis le pas. On venait de m’avertir que la visiteuse de miss Spencer prenait souvent le frais devant la maison, et je voulais reconnaître le terrain. Je regardai par-dessus la clôture de planches qui séparait de la rue non pavée le petit espace qui représentait le jardin ; mais je ne vis personne. Un étroit sentier conduisait à la porte d’entrée qui s’ouvrait au-dessus de deux marches délabrées. De chaque côté de la porte s’étendait une pelouse bordée de groseilliers. À droite et à gauche se dressaient deux vieux cognassiers aux branches tordues, sous l’un desquels on voyait une table et deux chaises. Sur la table s’étalaient un morceau de broderie à peine commencé et deux ou trois volumes brochés dont les couvertures aux couleurs éclatantes annonçaient la provenance étrangère. Je poussai la porte du jardin et j’entrai. À mi-chemin, je m’arrêtai, regardant autour de moi, à la recherche de la locataire, devant laquelle, je ne sais trop pourquoi, il me répugnait de me présenter à l’improviste.

Un coup d’œil suffit pour me montrer que le cottage avait un aspect des plus pauvres. Je me demandai si je ne commettais pas une indiscrétion, car la curiosité seule me guidait, et dans les circonstances actuelles, la curiosité ressemblait à un manque de délicatesse. Tandis que j’hésitais, quelqu’un se montra à la porte ouverte et se tint là, me regardant du haut des marches. Je reconnus aussitôt Caroline Spencer. Elle ne me reconnaissait pas. Je la saluai et je lui dis d’un ton de badinage amical :

— Je vous ai attendue là-bas, miss Spencer. J’espérais que vous reviendriez, mais vous n’êtes pas revenue.

— Où donc m’avez-vous attendue, monsieur ? demanda-t-elle d’une voix douce et en ouvrant de grands yeux.

Elle avait beaucoup vieilli ; elle paraissait abattue et fatiguée.

— Je vous ai attendue au Havre, répondis-je.

Elle me contempla d’un air étonné, puis elle sourit, rougit, et joignit les mains.

— Je vous reconnais maintenant, dit-elle, je me rappelle ce jour.

Elle se tenait toujours sur le seuil, sans sortir, sans m’engager à entrer. Elle était embarrassée ; de mon côté, je me sentais un peu gêné et je ne trouvai rien de mieux que d’enfoncer dans le sable du sentier le bout de ma canne.

— J’ai guetté votre arrivée pendant je ne sais combien d’années, repris-je enfin.

— Là-bas, en Europe ? murmura miss Spencer.

— En Europe naturellement ! Ici, je n’ai pas eu de peine à vous trouver.