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équipage rustique et nous rejoignit sous la véranda. C’était la femme du pasteur protestant de Grimwinter et elle se donnait pour mission de colporter les cancans du jour. Comme je l’avais déjà rencontrée, sa spécialité m’était connue, et il me fut facile de deviner qu’elle brûlait de communiquer à sa voisine un secret important. Je jugeai donc poli de lui laisser le champ libre.

— J’éprouve le besoin de me dégourdir les jambes, dis-je à mon hôtesse, et avec votre permission, je vais faire un tour de promenade jusqu’à l’heure du dîner… À propos, si vous voulez bien m’apprendre où demeure ma vieille amie miss Spencer, je serais heureux de la revoir.

La femme du pasteur s’empressa de répondre que miss Spencer habitait la quatrième maison après l’église méthodiste. L’église méthodiste se trouvait dans la seconde rue à droite ; je la reconnaîtrais sans peine, grâce à une drôle de petite décoration architecturale que l’on honorait du nom de portique, mais qui ressemblait à un ciel de lit.

— Oui, ajouta Mme Jones, dès que son amie m’eut fourni ces renseignemens, allez voir ma pauvre Caroline ; la vue d’un visage étranger l’égaiera.

— Je m’imagine plutôt qu’elle doit être rassasiée de la vue d’un visage étranger, dit la femme du pasteur.

— Je veux dire qu’elle sera heureuse de recevoir une visite reprit Mme Jones.

— Il me semble qu’elle doit être dégoûtée des visites, riposta l’autre dame. Mais vous ne comptez pas rester deux ans ? continua-t-elle en s’adressant à moi.

— Aurait-elle un visiteur de ce genre ? demandai-je un peu intrigué par cette question.

— Non pas un visiteur, mais une visiteuse. Vous verrez le genre ! La dame se montre volontiers ; elle se tient une bonne partie de la journée dans le jardin qui fait face à la maison. Seulement je vous conseille d’être fort poli.

— Elle est donc très susceptible ?

La femme du pasteur se leva d’un bond et m’adressa une belle révérence, une révérence des plus ironiques.

— Voilà ce qu’elle est, s’il vous plaît ! C’est une comtesse, ajouta-t-elle en riant d’une façon peu respectueuse, — on eût dit qu’elle riait au nez de la comtesse.

Je demeurai une minute immobile, réfléchissant, m’étonnant, consultant mes souvenirs.

— Soyez tranquille, je serai poli, répondis-je en m’éloignant. Je n’eus aucune peine à découvrir la demeure de miss Spencer.

L’église méthodiste me servit de point de repère, et une maison voi-