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QUATRE RENCONTRES.

lettes et le costume des prêtres. Tout cela était nouveau pour elle.

— Et lorsque votre cousin reviendra, que comptez-vous faire ? demandai-je.

Elle hésita un instant avant de répondre :

— Nous ne savons pas trop.

— Quand partez-vous pour Paris ? Si vous prenez le train de quatre heures, j’aurai le plaisir de voyager avec vous.

— Je crains que ce ne soit pas possible. Mon cousin me conseille de passer quelques jours ici.

— Voilà un conseil qui me surprend ! m’écriai-je. Il ne faut que quelques heures pour voir le Havre.

Pendant une minute ou deux, je ne dis rien de plus. Je cherchais à deviner où le cousin voulait en venir. Je regardai à droite et à gauche, mais je ne vis à l’horizon personne qui ressemblât à un peintre plein d’avenir et doué d’une grande bonté. Enfin je me permis de rappeler à ma compatriote que les étrangers se dispensent volontiers de faire au Havre une station esthétique. Le Havre est un lieu de transit, rien de plus. Je l’engageai donc à se rendre à Paris par le train de l’après-midi et à se distraire d’ici là en visitant la forteresse située à l’entrée du port. Je parle de la vieille construction que l’on désignait sous le nom de tour de François Ier et qui a été démolie depuis.

Miss Spencer parut écouter avec un certain intérêt ma description de la tour ; puis sa physionomie prit une expression plus grave, tandis qu’elle répliquait :

— Je ne puis rien décider encore. Mon cousin a quelque chose de sérieux à me dire. Je l’interrogerai dès qu’il sera de retour ; ensuite nous irons admirer la forteresse. Je ne suis pas si pressée de voir Paris, — je me donne un congé de six mois !

Elle sourit et hocha la tête d’un air résolu. Il me sembla toutefois lire dans son regard qu’elle éprouvait une légère inquiétude.

— Soyez franche ! m’écriai-je. Vous craignez que ce malencontreux cousin ne vous rapporte une mauvaise nouvelle.

— Eh bien, franchement, je soupçonne qu’elle ne sera pas bonne, mais j’espère qu’elle ne sera pas trop mauvaise. Quoi qu’il en soit, j’ai promis de l’écouter.

— Vous n’êtes pas venue en Europe pour écouter ; vous êtes venue pour voir.

Maintenant j’étais persuadé que le cousin reparaîtrait, puisqu’il avait quelque chose de désagréable à annoncer. Notre entretien continua, et j’interrogeai miss Spencer sur son plan de voyage. Elle connaissait sur le bout des doigts son itinéraire, dont elle énuméra les étapes avec la précision d’une écolière sûre de son fait, —