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QUATRE RENCONTRES.

toutefois une invitée qui se tenait seule près de la cheminée. Après l’avoir contemplée un instant, je répliquai :

— Je les montrerais très volontiers à cette demoiselle-là.

— Cela tombe à merveille, dit Mme Jones, c’est justement celle qu’il vous faut. Elle n’aime pas les flirtations.

Si l’on m’en avait laissé le temps, j’aurais peut-être déclaré que, puisqu’elle n’aimait pas les flirtations, mieux valait chercher ailleurs. Je n’eus pas l’occasion de protester ; Mme Jones me proposait déjà en qualité de montreur de photographies.

— Elle sera enchantée, dit-elle en me rejoignant deux minutes après. Oui, miss Spencer est justement celle qu’il vous faut, — si sérieuse, si intelligente.

Là-dessus, mon hôtesse me présenta.

Bien que miss Caroline Spencer ne fût pas une beauté, c’était une charmante petite personne, admirablement faite. Elle devait friser la trentaine ; mais sa taille et la fraîcheur merveilleuse de son teint lui donnaient presque l’air d’une enfant. Elle avait une très jolie tête, et ses cheveux étaient arrangés comme ceux d’un buste grec. Je la soupçonnai de goûts artistiques, si tant est que le séjour de Grimwinter fût capable de favoriser des tendances de ce genre.

Elle était vraiment fort gracieuse avec sa mine doucement effarouchée, ses lèvres un peu minces et ses dents d’une blancheur éclatante. Autour de son cou s’enroulait ce que les dames, si je ne me trompe, appellent une ruche, retenue par une simple broche de corail, et l’éventail qu’elle tenait à la main n’avait rien de luxueux. Je remarquai, en outre, que la jupe de sa robe de soie noire n’avait peut-être pas toute l’ampleur exigée par la mode du jour.

Elle m’adressa un petit salut cérémonieux, montrant ses dents blanches entre ses lèvres minces, mais souriantes. Elle parut en effet ravie et même un peu troublée par la perspective que lui ouvrait l’étude des trésors dont je me chargeais de lui expliquer les beautés. Pour ma part, mon rôle ne m’effrayait pas. Je tirai les cartons de leur coin et j’approchai deux sièges d’une table suffisamment éclairée. Les photographies représentaient des scènes ou des objets qui m’étaient familiers, — des vues de Suisse, d’Italie et d’Espagne, des monumens, des tableaux, des statues plus ou moins célèbres. Je racontai ce que je savais sur chaque sujet. Ma compagne regardait les photographies à mesure que je les soulevais une à une et m’écoutait immobile, son éventail appuyé contre sa lèvre inférieure. De temps à autre, lorsque je reposais une épreuve dans le carton, elle me demandait : « Vous avez vu l’original ? » Presque toujours je répondais que je l’avais vu plusieurs fois ; alors