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marchés gallas, trois hommes, un enfant et une femme, ils avaient aussi cinq baudets chargés de café et de provisions. Aussitôt, par application de l’édit du roi et avec l’aide d’Azadj Woldé Tsadek, qui ne plaisantait pas non plus, les musulmans furent enchaînés, conduits en prison et leurs marchandises saisies ; ils durent porter eux-mêmes les fardeaux dont ils avaient chargé leurs victimes. J’ai pris l’enfant à mon service, il s’appelle Ghiorghis et vient de la province de Gouragué ; j’ai su de lui dans quelles conditions il avait été capturé. Il était allé avec son frère chercher des provisions pour la famille, lorsqu’au moment où le marché était le plus animé une bande de cavaliers musulmans enveloppe les malheureux qui n’avaient pas eu le temps de s’enfuir ; pères, mères ou enfans tous sont garrottés ; le pauvre Ghiorghis avait pu s’échapper, mais à la vue de son frère, qui se défendait courageusement quoique blessé d’un coup de lance, n’écoutant que son affection, il courut pour l’arracher à ses bourreaux ; la lutte n’était pas possible, il fut pris à son tour, enchaîné, et jamais plus ne revit son frère.

« Jeudi 17. Nouvelle capture de deux musulmans et délivrance de deux jeunes filles gallas qui, comme les autres, allaient être vendues aux fils d’Abou-Bakr.

« Vendredi 18. Nous arrivons le soir à Daro Mikael, possession de la mission catholique dans les pays Gallas, où m’attendait Mer Taurin, digne prélat français, coadjuteur de Mgr Massaja. Mgr Taurin fut charmé de voir un compatriote et s’empressa de mettre à mon service sa connaissance approfondie des lieux, des mœurs et de la langue du pays. Tout d’abord il m’indiqua une série de cavernes qui sont une des grandes curiosités de l’Ethiopie méridionale ; ces cavernes furent habitées jadis par des Troglodytes, avant même l’époque des anciens rois d’Ethiopie dont la résidence était établie sur la montagne d’Erer, non loin d’ici.

« Qu’on se figure un rocher uni s’étendant en façade et large de 150 mètres sur 30 de haut ; une petite rivière, très poissonneuse et conservant de l’eau toute l’année, s’est creusé un lit profond comme un abîme au pied du rocher ; sur ce rocher, comme sur la façade d’un palais gigantesque, se voient une foule d’ouvertures irrégulièrement percées, mais où l’on reconnaît distinctement trois étages. Chacune de ces ouvertures est la porte d’une vaste caverne creusée de main d’homme dans la roche vive ; plusieurs de ces logemens communiquent entre eux, mais la plupart sont isolés : la seule et unique issue est l’ouverture de la façade à pic au-dessus du gouffre béant. On ne peut s’introduire dans les cavernes que par des cordes jetées dans le vide et qu’un pieu fiché en terre retient par le haut ; l’explorateur se laisse glisser le long de la corde en ayant soin, pour modérer la descente, d’appuyer le bout du pied