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produits du pays, qu’on préparerait une caravane et que le roi viendrait lui-même surveiller le départ ; la mission de M. Arnoux en Europe était définitivement arrêtée. Restaient à préparer les documens officiels pour le gouvernement français et diverses cours d’Europe. Noblement étranger à cet esprit d’exclusivisme qui caractérise certaines nations civilisées, M. Arnoux avait été le premier à conseiller à Minylik d’écrire au roi d’Italie et à la reine d’Angleterre ; il pensait avec grande raison qu’il y a place en Ethiopie pour toutes les activités, même à côté de la France. Ces documens devaient être élaborés en conseil avec les missionnaires catholiques qui jouissent de la confiance du roi. Voici comment M. Arnoux rendait compte dans son journal de ce grand résultat :

« Samedi 15 mai. Enfin mon long travail de cinq années n’aura pas été perdu. Et maintenant réussirai-je jusqu’au bout ? .. L’avenir me l’apprendra. En attendant, le roi doit faire une expédition chez les Gallas du sud, au-delà du fleuve Aouach ; nous ferons route ensemble jusqu’après Nouari, puis je reviendrai à Litché pour commencer à préparer les marchandises.

« Vendredi 21. Nous voici à Nouari avec le roi, après trois jours de marche dans un pays merveilleux, traversant tour à tour des plateaux fleuris et des ravins où le jour pénètre à peine. Je ne sais rien de comparable à cette nature grandiose et tourmentée. Nous avons mis toute une journée pour franchir le Wahed et le Adevavai, deux fleuves qui se réunissent à quelque distance d’ici et vont se jeter dans le Nil Bleu. Leurs bords sont formés d’escarpemens épouvantables ; pourtant toute notre armée les a franchis, quoique non sans peine. Je marchais un peu en arrière du gros des troupes, et j’ai rencontré sur ma route plus de cinquante bêtes de somme, chevaux, ânes ou mulets, mortes de fatigue ; encore n’ai-je pas tout vu. Arrivé sur les bords du premier fleuve, je m’arrêtai pour contempler le spectacle de tous ces hommes grimpant comme des fourmis en files interminables le long de ces roches à pic dont la vue seule donnait le vertige.

« Nouari est une place fortifiée, située sur une hauteur abrupte comme toutes les forteresses d’Ethiopie ; des précipices l’entourent de toutes parts, sauf sur un point large de 300 mètres environ que barre une solide muraille précédée d’un fossé profond, et ce fossé lui-même rejoint par les deux bouts les précipices entourant la place. À l’intérieur, celle-ci ne mesure pas moins de 10 kilomètres de long sur 6 de large ; tout à l’entour, le pays est plat. C’est là que le roi tient entassée une partie de ses richesses ; je fus admis à visiter les magasins ; j’y vis rangées à part plus de quarante grandes malles ou caisses pleines des objets que je lui avais moi-même apportés d’Europe, ayant écrite au-dessus la liste de leur contenu ;